DEVELOPPEMENT: Les altermondialistes africains rejettent la privatisationdu coton malien

FANA, Mali, 13 juil (IPS) – Rejetant la privatisation programmée en 2008 – de la Compagnie malienne de développement de textiles, le Forum des peuples, réuni à Fana, au Mali, a lancé une pétition pour dire "Non à la privatisation et à l'introduction des OGM" (organismes génétiquement modifiés) dans ce pays.

Créée en 1974 dans le but de gérer la filière cotonnière, la Compagnie malienne de développement de textiles (CMDT) est une entreprise d'Etat dont le rôle est d'organiser la production et la commercialisation du coton.

Elle achète le coton graine aux producteurs et revend le coton fibre sur le marché international.

La production cotonnière au Mali est estimée à environ 600.000 tonnes pour la campagne 2004-2005, selon la CMDT.

Deuxième localité malienne grande productrice de coton après Koutiala, Fana est le chef-lieu d'une des 23 communes dans la région de Koulikoro, dans le sud du Mali. Fana a une population de 25.631 habitants, selon la mairie de la ville. La pétition des altermondialistes africains, réunis en contre-sommet du G8 (Groupe des huit pays les plus industrialisés, qui se tenait à Gleneagles, en Ecosse), a recueilli plus de 1.000 signatures. Pour la quatrième année consécutive, des mouvements sociaux africains se sont rencontrés au Mali, un pays d'Afrique de l'ouest, du 6 au 9 juillet, avec quelque 1.300 participants venus de la sous-région, mais également de Belgique, de France, de Suisse et du Canada. Partie intégrante du Forum social africain et du Forum social mondial, le Forum des peuples se donne la spécificité de se réunir chaque année en contrepoint au sommet du G8. Avant Fana, c'était d'abord à Siby en 2002 et 2003, et Kita en 2004, deux localités du sud-ouest du Mali. Le secrétariat du forum est basé à Bamako, la capitale malienne.

Le Mali a été choisi pendant toutes ces années suite à une initiative des Maliens, selon la présidente de la Coalition des alternatives africaines dette et développement (CAD-Mali), Aminata Barry Traoré. Selon le maire de Fana, Kader Traoré, la privatisation de la filière coton est un enjeu de mobilisation important pour la population de sa localité, et spécifiquement pour les paysans.

Pour les pétitionnaires, la privatisation de la CMDT, imposée par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, aura des conséquences très graves sur l'économie du Mali, et sur le monde paysan, en particulier, qui compte trois millions de producteurs de coton, selon des chiffres officiels.

Le gouvernement malien est favorable à la privatisation programmée initialement en 2006, puis reportée en 2008. La CMDT est déficitaire depuis des années, avec notamment la chute des cours de coton, provoquée par la subvention des cotonculteurs des Etats-Unis et d'autres pays. En outre, la Banque mondiale exige, depuis septembre 2004, la privatisation de la CMDT, comme une condition indispensable à son aide financière au Mali.

Dans un entretien avec IPS, Banfing Diarra, président de la section du Syndicat des producteurs du coton et vivres, de Markakoungo – une localité située à 80 kilomètres de Bamako -, estime que les conséquences de la privatisation seront nombreuses.

"La privatisation de la CMDT va entraîner une réduction considérable des services sociaux de base – éducation, santé – la diminution des emplois agricoles et non-agricoles", a-t-il déclaré. La CMDT, qui est une entreprise publique, doit construire des écoles, de centres de santé et des pistes rurales dans les régions productrices de coton, explique-t-il. "Auparavant, le coton rapportait quelque chose quand le prix était fixé à 210 francs CFA (environ 42 cents US) le kilogramme…Mais depuis deux ans, avec la chute des prix, nous sommes contraints de céder notre coton à un prix dérisoire de 160 FCFA (32 cents US) le kilo", s'indigne-t-il, mettant en cause, entre autres, les subventions agricoles aux producteurs américains dont le coton vendu à bas prix inonde le marché international. Dans quatre pays africains — Burkina Faso, Mali, Tchad et Bénin — dont les économies sont basées sur la production cotonnière, le coton américain est en train d'être déversé à bas prix sur le marché et des moyens de subsistance sont en train d'être perdus, tout ceci au nom du commerce, a déclaré à IPS, à Gleneagles, en Ecosse, Devinder Sharma, un éminent spécialiste de l'économie agricole.

Les prix du coton américain sont bas parce que 25.000 producteurs de coton américain reçoivent quatre milliards de dollars par an en subventions, a-t-il ajouté. "Ceci est visiblement en train de faire déprimer le marché en Afrique, et dans d'autres pays. Ensuite, ils demandent aux agriculteurs de ces régions de diversifier et d'aller vers d'autres cultures".

Un producteur de coton dans l'Etat américain de l'Arkansas reçoit des subventions s'élevant à six millions de dollars, équivalant aux revenus annuels combinés de 25.000 cotonculteurs au Mali, a indiqué Sharma, qui est un activiste de longue date pour les droits des agriculteurs dans le monde en développement.

Aujourd'hui, explique Diarra à IPS, ses cinq hectares de coton qui faisaient jadis son bonheur et celui des siens, n'arrivent plus à subvenir aux besoins de sa famille. "Avec la privatisation, c'est sûr qu'on va arrêter la culture de coton et se tourner vers des cultures vivrières comme le mil et le maïs". Ces produits permettent aux paysans de produire assez de la nourriture pour leur sécurité alimentaire, mais ce ne sont pas des cultures commerciales qui rapportent beaucoup d'argent comme le coton. Les mêmes inquiétudes sont partagées par la présidente de "Badenya", un collectif d'associations féminines de Fana. Pour Kadidia Bagayoko, "à cause de la crise actuelle consécutive à la baisse des prix du coton, nos hommes n'arrivent plus à honorer leurs obligations : frais de condiments, de scolarisation des enfants et de santé".

Faisant allusion au débat en cours sur les OGM au Mali, Barry déclare donner l'alerte contre toute forme d'introduction d'OGM. Elle dit qu'elle craint qu'une fois la privatisation effectuée, les repreneurs de la CMDT n'introduisent les OGM dans la production de coton pour plus de rentabilité.

"La privatisation de la CMDT donnera le champ libre aux entreprises multinationales qui veulent imposer les OGM dans l'agriculture malienne.

Elle aura pour conséquence la destruction du patrimoine génétique malien, l'appauvrissement du monde paysan, le contrôle de l'agriculture par des multinationales", affirme-t-elle.

"C'est pour toutes ces raisons que nous, mouvements sociaux (associations de jeunes, femmes, confessions religieuses, coordination d'organisations non gouvernementales), refusons la privatisation de la CMDT et l'introduction des OGM", a souligné Barry à IPS.

Mais, les autorités ont rassuré les altermondialistes, indiquant que pour passer d'une production de rente à une agriculture industrielle et, même pour assurer la sécurité alimentaire et exporter, il faut d'abord expérimenter les OGM. Le ministre malien de l'Agriculture, Seydou Traoré, l'a dit récemment encore lors d'une rencontre, à Bamako, sur la problématique de l'introduction des OGM dans l'agriculture des pays de l'Union économique et monétaire de l'Afrique de l'ouest (UEMOA).

Selon Barry, "aujourd'hui, le monde, et en particulier les pays du Sud dont le Mali, vivent une situation de délabrement social, économique, environnemental et culturel par la faute des pays riches". Elle estime que les subventions agricoles aux producteurs américains et européens ainsi que l'accès difficile des produits africains aux marchés des nations industrialisées, aggravent la pauvreté dans les pays pauvres, notamment en Afrique.

Selon le rapport 2004 du Programme des Nations Unies pour le développement, intitulé 'Décentralisation et réduction de la pauvreté', 65 pour cent des Maliens vit avec moins d'un dollar par jour, pour une population estimée à près de 11,7 millions d'habitants.

Pour cette raison, explique à IPS, Dounantié Daou, le secrétaire national de CAD/Mali, "Nous voulons que les leaders du G8 puissent prendre des actions concrètes pour le respect de leur engagement à lutter contre la pauvreté".

"Nous joignons notre appel à celui de la Campagne mondiale de lutte contre la pauvreté, pour dire aux chefs d'Etat des huit pays les plus riches du monde que les peuples d'Afrique et du Tiers monde payent un lourd tribut, vivent dans une pauvreté grandissante, sous-tendue par la diminution des prix des matières premières, le fardeau de la dette, la concurrence de nos produits, les exigences des investisseurs étrangers, et l'évasion des capitaux", a-t-il martelé.

Dans la même logique, Barry demande, dans un appel au G8, de "prendre des dispositions urgentes pour mettre fin aux inégalités qu'ils ont construites dans le monde, d'annuler la dette totale des pays du Tiers monde sans aucune conditionnalité".

Outre la tenue d'un symposium, des conférences populaires paysannes, et l'animation d'un "marché des peuples", de nombreuses autres activités culturelles se sont déroulées au forum de Fana.

Les travaux du Forum des peuples ont pris fin le samedi (9 juillet) par une marche au terme de laquelle la pétition a été remise au sous-préfet de Fana qui l'a transmise au gouvernement malien.