POLITIQUE-COTE D'IVOIRE: Le dialogue militaire victime des allégeances partisanes?

ABIDJAN, 14 avr (IPS) – Les pourparlers entre les états-majors des forces belligérantes en Côte d'Ivoire, qui devaient aboutir à la facilitation du désarmement des ex-combattants, se heurtent toujours à des préalables aux relents politiques.

De Yamoussoukro, la capitale politique ivoirienne, à Bouaké, le quartier-général des rebelles, les états-majors de l'armée gouvernementale et des Forces nouvelles (ex-rebelles) ont renoué le dialogue rompu depuis août 2005. Ils ont entamé des discussions depuis le 1er avril, sans toutefois parvenir à arrêter un chronogramme définitif pour les opérations de désarmement des ex-combattants ni avancer sur l'une des exigences des rebelles : un projet d'état-major intégré pour l'armée réunifiée.

Le projet d'état-major intégré est l'une des 20 revendications émises, le 4 avril à Bouaké, par la rébellion qui recommande également le vote d'une nouvelle loi d'amnistie, alors qu'une première avait été déjà adoptée par l'Assemblée nationale le 4 août 2003. Ensuite, les rebelles estiment que le parlement ne doit plus légiférer, son mandat ayant pris fin le 25 décembre 2005.

Pour relancer le processus de paix, qui semblait s'embourber dans l'impasse, le président en exercice de l'Union africaine (UA) avait effectué, du 7 au 9 avril, une visite en Côte d'Ivoire. Au terme des consultations avec les forces militaires et politiques ivoiriennes, Denis Sassou Nguesso et les acteurs de la crise avaient convenu “d'un début immédiat du processus simultané de désarmement et d'identification” des électeurs, sans toutefois indiquer un calendrier précis.

Avant la visite de Sassou Nguesso, les deux états-majors ne s'accordaient pas sur la programmation de ces deux objectifs. Pour l'armée gouvernementale, il fallait d'abord réaliser le désarmement avant l'identification du corps électoral tandis que les Forces nouvelles réclamaient le contraire. C'est donc la médiation du président de l'UA qui a mis fin à cette dispute.

Mercredi, une troisième réunion entre les états-majors des forces rebelles et de l'armée gouvernementale n'a pas pu se tenir à cause d'un incident dû à une crise de confiance. Les rebelles ont refusé de se soumettre à une fouille de leurs véhicules à Tiébissou, ville située à l'entrée de la zone gouvernementale en provenance de Bouaké.

Le ministre de la Défense, René Aphing Kouassi, s'est rendu jeudi à Bouaké, pour régler l'incident, mais sa rencontre avec les rebelles s'est soldée par un échec, car aucune date n'a été fixée pour une prochaine réunion entre les deux états-majors.

“Chaque approche du désarmement devient, pour la rébellion, une occasion de présentation de listes revendicatives aussi ahurissantes et totalement contradictoires avec les différents accords adoptés”, a fustigé, le 6 avril, Michèle Pépé, une éditorialiste du quotidien pro-gouvernemental 'Fraternité Matin'. Selon elle, les nombreuses réunions et les communiqués sont “toujours sans lendemains constructifs”.

En fait, deux chronogrammes de désarmement avaient été déjà adoptés par les forces belligérantes, mais aucun d'eux n'avait connu un début d'exécution.

Le premier accord sur un calendrier de désarmement, qui devait démarrer le 27 juin 2005, n'avait jamais été appliqué. Ensuite, celui du 31 juillet est resté lettre morte, compromettant la tenue de l'élection présidentielle en octobre 2005.

A ces deux dates, les rebelles avaient posé, comme préalables, le désarmement et le démantèlement des milices pro-gouvernementales, ainsi que l'adoption, au plus tard le 15 juillet 2005, des lois sur le processus électoral. Ensuite, les 42.500 combattants rebelles et les 5.500 supplétifs (milices) des forces gouvernementales pourraient commencer à déposer les armes et à être démobilisés.

“Depuis l'irruption de l'armée sur la scène politique, le 24 décembre 1999, à la faveur du premier coup d'Etat qu'a connu le pays (avec feu le général Robert Guéi), toutes les données ont changé en elle. Pas qu'elle soit devenue partisane dans l'immédiat, mais ces éléments se sont identifiés aux leaders politiques", a expliqué à IPS, le colonel Alexis Ahipeaud, expert en stratégie militaire. "Officiers et sous-officiers ont choisi leur camp.

Les hommes de rang ont, eux aussi, fait le choix de leurs bienfaiteurs".

“Notre véritable difficulté, c'est que la situation politique a créé des problèmes d'intérêts militaires. Je crois que l'armée devrait se mettre en dehors de ces débats et soubresauts politiques et se comporter comme une armée républicaine”, avait proposé Ahipeaud au lendemain des attaques des camps de gendarmerie d'Agban et d'Akouédo, dans la périphérie de la capitale économique, Abidjan, début janvier 2006.

Pour sa part, le professeur Lacina Soro, sociologue à l'Université d'Abidjan, déclare à IPS : “S'il y a assez de divergences de points de vue entre l'armée gouvernementale et les ex-rebelles, c'est parce que les militaires ont des difficultés à se soustraire aux contingences politiques”.

"L'armée n'est jamais parvenue à prendre de décisions courageuses. Elle s'est laissée envelopper dans la crise identitaire qui menaçait le pays", explique-t-il ajoutant : "En octobre 2000, les militaires ont fait un choix politique en cautionnant l'élection présidentielle. Aujourd'hui, ils sont opposés à leurs frères d'armes avec qui ils avaient mené le coup de force de décembre 1999".

Le chef de l'Etat actuel, Laurent Ggagbo, était devenu président après l'élection de 2000 pour laquelle avaient été exclus d'autres leaders politiques, notamment l'ancien Premier ministre Alassane Ouattara, originaire du nord de la Côte d'Ivoire. Une exclusion qui sera une des principales causes de la rébellion du 19 septembre 2002 qui a coupé le pays en deux, après l'échec d'une tentative de coup d'Etat manqué.

Des soldats insurgés, qui occupent depuis cette date la moitié nord de la Côte d'Ivoire, ont soutenu avoir pris les armes pour s'opposer à l'exclusion présumée des populations de cette partie septentrionale de ce pays d'Afrique de l'Ouest.

A mots à peine couverts, Lacina Soro indique que l'armée est divisée en fonction des appartenances ethniques ou régionales des soldats. “Il ne sert à rien de le cacher aux Ivoiriens. Depuis longtemps, les soldats sont attachés à chaque responsable des partis politiques, au point de créer des clans dans l'armée. Lorsque l'occasion se présente, chacun défend sa chapelle”, a-t-il affirmé à IPS.

A quelques mois de l'élection présidentielle, fixée au plus tard au 31 octobre 2006 par la résolution 1633 du Conseil de sécurité de l'ONU, adoptée le 21 octobre 2005, l'identification du corps électoral et le désarmement des combattants demeurent des pièces clés du processus de sortie de crise.

Après l'installation des institutions en charge des processus de désarmement et d'identification, le Premier ministre de transition, Charles Konan Banny, optimiste, effectue, cette semaine, une tournée en Europe. En début de semaine, il a rencontré, à Paris, de hauts responsables de l'Etat français, dont le président Jacques Chirac. L'objectif de sa tournée vise non seulement la recherche d'un soutien financier pour le déroulement des deux opérations, mais également la création d'une armée nouvelle réunifiée dans le pays.

Malgré l'optimisme affiché du Premier ministre, plusieurs observateurs redoutent encore un nouveau report des élections, comme en 2005. A la question de savoir ce qui adviendrait si les élections n'avaient pas lieu à la date indiquée en cas d'éventuels blocages, le président en exercice de l'UA avait répondu simplement, le 8 avril aux journalistes, à Abidjan : “Nous (Union africaine) aviserons”.