Éducation Sans Délai s’Entretient avec la Coordinatrice Résidente des Nations Unies en Colombie, Mireia Villar Forner

7 juin 2023 –

Mireia Villar Forner est la Coordinatrice Résidente des Nations Unies en Colombie. Mme Villar Forner apporte à ce poste plus de 25 ans d’expérience, acquise au sein des Nations Unies et à l’extérieur. Au sein des Nations Unies, elle a récemment occupé le poste de Coordinatrice Résidente en Uruguay, où elle a dirigé les travaux du système de développement des Nations Unies pour accélérer la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le Développement Durable. Elle a également occupé des postes de haut niveau au Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), notamment celui de Représentante Résidente en Uruguay, de Représentante Résidente Adjointe en Bolivie et de Représentante Résidente Adjointe en Irak pendant la transition politique du pays. Elle a également travaillé au Bureau de Liaison du PNUD à Bruxelles, où elle a joué un rôle clé dans le renforcement du partenariat entre l’Organisation et l’Union Européenne. Avant cela, elle a travaillé comme point focal pour l’Amérique Latine et les Caraïbes, ainsi que pour les États Arabes, au sein du Bureau de Prévention des Crises et de Relèvement du PNUD, après avoir été Chef de la Section du Programme de Réhabilitation du Réseau Électrique dans le Nord de l’Irak. Elle a commencé sa carrière aux Nations Unies au Bureau Régional du PNUD pour les États Arabes. Avant de rejoindre l’Organisation, Mme Villar Forner a travaillé dans le secteur financier en Espagne. Elle est titulaire d’un master en service extérieur de l’Université de Georgetown aux États-Unis et d’une licence en économie de l’Université de Barcelone en Espagne.

ÉSD : La Colombie est confrontée à l’une des crises les plus anciennes et les plus complexes d’Amérique latine. Dans un tel contexte, pourquoi est-il important que les acteurs de l’aide soutiennent le secteur de l’éducation dans le cadre du programme de Paix Totale du Gouvernement ?

Mireia Villar Forner : Il y a trois raisons principales pour que les acteurs de l’aide soutiennent le secteur de l’éducation dans le cadre du programme de “Paix Totale” du Gouvernement.

Tout d’abord, la vision du gouvernement est telle que l’éducation et la “Paix Totale” sont considérées comme une priorité unique et indivisible. En outre, conformément au concept du Programme Pluriannuel de Résilience, une coordination étroite avec le gouvernement est la voie à suivre pour garantir l’orientation et assurer la durabilité.

Deuxièmement, le conflit armé colombien est l’un des principaux déclencheurs de la crise de l’éducation qu’a connue le pays. L’éducation dans les situations d’urgence et son renforcement nécessitent à la fois des réponses à la crise dans les zones touchées par le conflit, tout en promouvant des actions de paix et de développement à long terme, en faisant le lien entre l’humanitaire, la paix et le développement.

Troisièmement, le conflit armé est une réalité qui s’étend sur une grande partie du pays, affectant particulièrement les populations vulnérables, y compris les Vénézuéliens, qui finissent par subir une double et triple affectation.

ÉSD: Les investissements d’ÉSD soutiennent les partenaires des Nations Unies, de la société civile et des communautés locales afin de fournir conjointement des programmes d’éducation holistiques aux filles et aux garçons touchés par les multiples crises. Comment voyez-vous ces investissements financiers soutenir la vision du gouvernement en matière d’éducation et d’inclusion ?

Mireia Villar Forner : Au cours des deux dernières décennies, les gouvernements colombiens ont pris conscience du besoin d’éducation dans les situations d’urgence et l’ont explicitement abordé comme un moyen de promouvoir l’inclusion dans les régions touchées par le conflit et exclues. Le rôle de la société civile et des communautés locales dans la conduite des initiatives s’aligne bien sur les efforts du gouvernement pour responsabiliser les personnes les plus privées de leurs droits et pour développer leurs capacités à faire partie des solutions. Cet engagement se traduit également par une compréhension de l’importance de travailler avec ÉSD, à la fois du point de vue des ressources et du renforcement des capacités locales, ainsi que de la nécessité de s’inspirer des expériences internationales en matière d’éducation des filles et des garçons dans les situations de crise.

Dans ce contexte, le lien entre le traitement des impacts de la crise et les processus de développement local ou “territorial” est primordial. Le système éducatif colombien est décentralisé, ce qui implique que les gouvernements infranationaux jouent un rôle fondamental dans la coordination et la garantie des services éducatifs au niveau local. Le développement de leurs capacités est crucial. La Colombie n’ayant pas de programme scolaire national, il existe des disparités en ce qui concerne les réponses éducatives dans les situations de crise, en particulier dans le cadre d’un scénario de mobilité humaine. La mise en œuvre d’actions visant à renforcer le rôle des acteurs locaux dans le cadre du programme ÉSD permet de surmonter ces difficultés et de renforcer les capacités des acteurs locaux.

ÉSD : Le système des Nations Unies en Colombie travaille avec le Gouvernement et les partenaires pour renforcer la complémentarité et la cohérence entre les secours d’urgence, le développement et les efforts de consolidation de la paix – le “triple lien”. Dans le secteur de l’éducation, comment pouvons-nous engager au mieux les partenaires dans le cadre du lien entre l’humanitaire, le développement et la paix et renforcer la coordination des actions ?

Mireia Villar Forner : Nous pensons que la meilleure façon d’impliquer les partenaires dans le lien entre l’humanitaire, le développement et la paix est à travers la localisation. Lorsque nous nous engageons dans l’aide d’urgence, nous devons planifier le développement des capacités des acteurs locaux et y faire face, garantir un soutien intégré à la conception et à la mise en œuvre de leurs programmes d’éducation et veiller à ce qu’ils soient ancrés dans des politiques et des capacités nationales solides.

Notre rêve est d’avoir des réponses structurelles nationales complémentaires menées par les gouvernements nationaux et locaux et mises en œuvre par différentes ONG, ainsi que des stratégies fondées sur des preuves qui abordent et préviennent de nouvelles crises et leurs impacts sur les personnes les plus vulnérables de manière durable.

ÉSD : La Fondation LEGO est le plus grand donateur du secteur privé d’ÉSD, avec environ 64 millions de dollars américains de contributions à ce jour. Quelle est l’importance du financement du secteur privé pour l’éducation dans les situations de crise dans des pays comme la Colombie et quelles synergies voyez-vous entre ces deux secteurs ?

Mireia Villar Forner : Les ressources allouées au secteur de l’éducation, y compris l’apprentissage précoce, ne sont pas suffisantes par rapport aux besoins des enfants, des adolescents et de leurs familles touchés par les situations d’urgence. La santé, la nutrition et l’eau, l’assainissement et l’hygiène sont des priorités en cas de crise. L’éducation, cependant, finit souvent par devenir une question secondaire, manquant ainsi l’occasion d’apporter une réponse plus complète aux enfants et aux adolescents. Les gouvernements reconnaissent souvent l’importance de renforcer l’éducation des filles et des garçons dans les situations de crise, mais ils ne disposent pas des ressources ou des capacités nécessaires pour apporter une réponse de qualité. Le soutien de la Fondation LEGO et d’autres organisations du secteur privé est donc primordial pour combler ce fossé.

Plus que le soutien financier, le fait que le secteur privé soit de plus en plus impliqué dans la conception et la mise en œuvre de solutions aux besoins humanitaires et aux lacunes en matière de développement est peut-être plus important encore.

La Fondation LEGO est un bon exemple de la façon dont les entreprises intègrent l’impact social dans leurs modèles d’entreprise de différentes manières, notamment en défendant des questions pertinentes qui, la plupart du temps, ne sont pas financées, telles que le développement de la petite enfance, l’apprentissage précoce par le jeu et l’éducation des enfants. La Fondation LEGO a joué un rôle clé dans le renforcement du développement politique dans ce domaine pendant les situations d’urgence et dans le déclenchement de discussions clés sur un plan à plus long terme et axé sur le développement.

ÉSD : Vous coprésidez actuellement le Comité de Pilotage du Programme Pluriannuel de Résilience (PPR) avec le Ministère colombien de l’Éducation. Pourriez-vous nous faire part de votre vision et de vos objectifs en ce qui concerne la fourniture d’une éducation de qualité aux enfants touchés par la crise en Colombie, par le biais d’une programmation et d’une coordination conjointes dans le cadre du PPR ?

Mireia Villar Forner : La formulation du PPR nécessite un consensus sur ce que signifie offrir une éducation de qualité aux filles et aux garçons affectés par des situations de crise, ainsi que sur les stratégies et les initiatives à mettre en œuvre à cette fin. Le PPR doit commencer à partir des besoins ressentis et identifiés aux différents niveaux, y compris et surtout : les communautés touchées par la crise au niveau local. Il doit s’agir d’une réponse qui, à son tour, tient compte de l’expérience accumulée par les différents acteurs qui ont travaillé dans ces contextes et des solutions fondées sur des données probantes. Le nouveau PPR de la Colombie doit comporter des stratégies rentables qui ont déjà fait leurs preuves pour relever les défis définis comme prioritaires par le Gouvernement et les communautés. D’autre part, il doit tenir compte de la durabilité dans le temps, en installant et en renforçant les parties prenantes locales et nationales. La durabilité doit tenir compte du fait que la Colombie est un pays d’urgence à plusieurs niveaux et qu’au fil du temps, les enfants doivent être pris en charge ; cette considération est impérative lors de l’analyse de l’impact de ce processus de programmation innovant et conjoint que représente le PPR.

Pour parvenir à la durabilité, il est nécessaire de générer un scénario de collaboration, dans le cadre d’un dialogue et d’une écoute assertive – des dynamiques qui doivent être encouragées sur la base des lignes directrices données par le Comité Directeur du PPR et garanties par un suivi. De même, le Comité doit servir de boussole pour naviguer dans les aspects techniques des stratégies et des initiatives pour lesquelles il a été choisi, afin de garantir la pertinence, la cohérence et l’efficacité.

ÉSD : Pourquoi la récupération de l’apprentissage, avec un accent sur l’apprentissage fondamental en Colombie, est-elle importante pour le développement durable et la sécurité en Amérique latine et dans le monde entier ?

Mireia Villar Forner : Une analyse récente de l’UNICEF, de l’UNESCO et de la Banque Mondiale estime qu’en Amérique latine et dans les Caraïbes, quatre sur cinq enfants âgés de 10 ans ne peuvent pas lire un texte simple. Une réalité inquiétante qui pourrait être encore plus choquante dans les zones rurales, en raison des écarts traditionnellement plus importants entre les résultats d’apprentissage des enfants. Penser aux générations qui ne parviennent pas à acquérir les apprentissages fondamentaux dans les délais prévus, c’est parler d’un obstacle majeur à la poursuite de l’apprentissage tout au long de leur parcours éducatif – ce qui a des répercussions sur le reste de leur vie et sur la définition de leur avenir, ainsi que sur le développement durable et la sécurité de la région.

La difficulté de l’apprentissage fondamental était une réalité en Amérique latine même avant la pandémie et a été aggravée par les longues fermetures d’écoles. Nous sommes arrivés à un point où nous pouvons agir et faire la différence – si des politiques et des stratégies sont promues pour assurer la reprise de l’apprentissage avec un soutien socio-émotionnel approprié, et garantir que les enfants apprennent à lire à l’âge de 10 ans, de sorte qu’ils puissent ensuite lire pour apprendre.

ÉSD : Nos lecteurs savent que “les lecteurs sont des leaders” et que les compétences en lecture sont essentielles à l’éducation de chaque enfant. Quels sont les trois livres qui vous ont le plus influencée sur le plan personnel et/ou professionnel, et pourquoi les recommanderiez-vous à d’autres ?

Mireia Villar Forner : Certains des livres les plus formateurs pour moi ont été ceux qui ont ouvert la voie à une vie de lecture. Momo de Michael Ende, ‘’The Lord of the Rings’’ (Le Seigneur des Anneaux) de J.R.R.Tolkien et tous les classiques de Roald Dahl sont ceux que j’ai vraiment appréciés quand j’étais enfant et qui m’ont amenée à d’autres.