Urbanisation de la malnutrition

New Delhi, sept 25 2017 (IPS) – A cause de l’urbanisation rapide, les effets de la malnutrition se déplacent de plus en plus des zones rurales vers les zones urbaines. Un enfant sur trois de moins de cinq ans des 155 millions dans le monde souffrant d'un retard de croissance, vit actuellement dans des villes et cités.

Pendant que Kuala Lumpur dispose d’îlots de forêt tropicale artificielle, une des agglomérations urbanisées autour de la ville à la croissance la plus rapide qui s’étend sur 2.245 km carrés, avec 7,4 millions de personnes, a perdu toutes les anciennes forêts tropicales pour des plantations destructives d’huile de palme. Crédit: Manipadma Jena/IPS La dégradation de la productivité de la terre, l’approfondissement des impacts des changements climatiques, conflits, insécurité alimentaire, pauvreté et le manque de moyens d’existence conduisent surtout les pauvres de la campagne vers les villes et cités, et l’on prévoit mondialement que d’ici 13 ans, 5 milliards de gens vivront dans des zones urbaines. Alors que la population urbaine devrait doubler dans ces 30 ans (à partir de 2000), la zone occupée triplera, augmentant de 1,2 million de kilomètres carrés, d’après le Rapport Mondial sur les terres 2017.

Presque 90 pour cent de la croissance de la population urbaine et des régions est attendue en Asie et en Afrique, avec des changements les plus spectaculaires prévus en Asie, selon ce rapport de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la Désertification (UNCCD).

D’ici 2050, 56 pour cent de la population de l’Asie sera urbaine. La Chine a franchi la marque à mi-parcours en 2012, L’Inde le fera en 2050. Ce changement majeur du caractère de la population, du caractère de son activité économique, d’être principalement rurale à devenir urbaine, semble propulser – en particulier la Chine et l’Inde – vers un leadership économique mondial. Mais ses moteurs de croissance urbaine pourraient être fondés sur une énorme population migrante rurale et mal nourrie. En 2016 on a vu sauter le nombre de 777 millions de personnes chroniquement sous- alimentées dans le monde entier à 815 millions. Selon le récent rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) ’Etat de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2017’, l’insécurité alimentaire accrue est due à un plus grand nombre de conflits exacerbés par des chocs liés au climat. Ces deux facteurs, que des études ont maintenant établi être interdépendants, sont ce qui motive la plupart des migrations aujourd’hui et peut-être continueront à le faire à moins qu’une action plurisectorielle forte soit entreprise bientôt.

Des producteurs alimentaires ruraux aux consommateurs nets dans les villes Des propriétaires fonciers ruraux marginaux, les agriculteurs familiaux, obligés d’abandonner leur rôle de producteurs de nourriture, migrent vers des centres urbains pour rejoindre les millions de consommateurs en pleine expansion. Là où ils cultivaient avant leur propre nourriture, conservée avant tout pour leurs propres besoins et le reste vendu aux chaînes alimentaires urbaines, et tendaient vers l’écosystème naturel dans les moments difficiles, ces agriculteurs migrent maintenant vers une structure économique où l’accès à l’argent seul détermine leur sécurité alimentaire.

Des études ont constaté que dans beaucoup de pays en développement les ménages urbains pauvres dépensent la moitié de leurs revenus à l’alimentation.

Bien que dans les villes la nourriture est disponible toute l’année, un nombre croissant de citadins pauvres font face à un combat quotidien pour nourrir leurs familles. Des fluctuations des prix, parfois de denrées de base, qui sont de plus en plus importées d’autres parties du monde, frappent les pauvres le plus durement.

Une maladie, une cérémonie religieuse ou un mariage dans la famille peuvent réduire profondément le budget fragile des citadins pauvres, ouvrant la voie à la malnutrition et aux retards de croissance des enfants.

Quand Sunita Behera est arrivée à la mégalopole de l’Inde, Delhi, avec ses trois enfants, le plus jeune avait à peine trois ans et son mari, un travailleur salarié pour un entrepreneur en construction qui construisait le stade des Jeux du Commonwealth de 2010, ils pouvaient se permettre de manger de la viande et du poisson seulement une fois par semaine. Mais les légumes et les lentilles, nommé la viande du pauvre parce qu’ils contiennent beaucoup de protéines, formaient une partie régulière de leurs repas.

Le prix des lentilles, la denrée de base de l’Inde, ont monté parce qu’on importait plus pour répondre à la demande. En 2014 la variété couramment utilisée coûtait de 1,5 dollar le kilo. En réduisant la quantité cuite de moitié, Behera y mélangeait de l’amidon de riz pour épaissir et sautait quelques piments pour épicer le tout.

En 2015, son mari tombait d’un échafaudage et ne pouvait pas travailler pendant des mois. Le prix des lentilles avait doublé et le salaire d’un mois pour son travail domestique de ménage était dépensé pour l’achat seul de la quantité de lentilles nécessaire pour un mois. Elle n’en achetait plus et le plus souvent ils mangeaient du riz et des pommes de terre. Son père dans le village cultive des légumineuses vertes sur un demi-acre chaque hiver.

Beaucoup de citadins en Asie et surtout en Inde, surtout les hommes quand ils émigrent seuls, ont peu de temps et pas de place pour cuisiner ou pour stocker des produits alimentaires, s’appuyant de plus en plus sur l’alimentation de rue. Pauvre abri, un manque d’assainissement et d’hygiène dans les bidonvilles et un manque de soutien familial et communautaire-ce qui était tissé dans le tissu social rural- aggravent davantage les problèmes des citadins pauvres. Sous-alimentation et des carences en micronutriments sont le résultat.

Avec plus de 65 pour cent de sa population âgée de moins de 35 ans, l’Inde est configurée pour fournir plus de la moitié de la main-d’œuvre potentielle au cours de la prochaine décennie en Asie selon une étude récente. Au cours des deux dernières décennies, la population urbaine de l’Inde est passée de 217 millions à 377 millions et devrait atteindre 600 millions, soit 40 pour cent de la population de 1,5 milliard d’ici 2031. Cette croissance économique démographiquement propulsée est liée à une énorme migration rurale-urbaine.

Sur 1/5 hectare de terrain dans les Sundarbans indiens, Alpana Mandal a accès à une gamme de nourriture – du poisson de leur petit étang d’eau douce, des œufs d’une couvée de poules et haricots, légumes à feuilles et riz – tout auto-cultivé. Mais la montée de la mer menace ce village deltaïque du Ganges et fuir vers la ville de Calcutta pourrait être leur seul moyen de survie. Crédit: Manipadma Jena/IPS Urbanisation, perte de terres cultivées et sous-nutrition Non seulement la superficie des terres urbaines triplera à l’échelle mondiale entre 2000 et 2030, mais l’expansion prévue aura lieu sur certaines des terres les plus productives du monde, d’après une étude de 2016. L’Asie et l’Afrique compteront à elles seules plus de 80 pour cent de perte globale de terres cultivées, conduisant à une perte de production alimentaire annuelle de 6 pour cent. Actuellement environ 60 pour cent des terres cultivées autour des villes et des petites villes ont des installations d’irrigation et sont deux fois plus productives.

Cette dynamique ajoute de la pression sur des futurs systèmes alimentaires potentiellement fatigués, selon l’étude publiée dans Les Comptes rendus de l'Académie américaine des sciences (PNAS).

La Chine et l’Inde continueront à croître rapidement mais avec différents modèles spatiaux et dynamiques de développement, selon l’étude. Les pertes des terres cultivées de la Chine entre 2000 et 2030 sont établies à 5-6 pour cent, s’ajoutant à 9 millions d’hectares et se traduisant jusqu’à un dixième de perte de production alimentaire.

L’expansion absolue de l’Inde jusqu’en 2030 prendrait environ 4 millions d’hectares, la moitié de celle de la Chine. La nation de l’Asie du Sud va perdre 2 pour cent de production en 2030, principalement parce que son urbanisation aura plutôt la forme de petites villes et de villes avec une population de 100.000 personnes, selon l’étude de la PNAS. Ses régions périurbaines continueraient pour le moment à cultiver des aliments et les liens entre zones rurales et zones urbaines offrent un potentiel de durabilité.

Des spécialistes de l’Inde ont dit cependant que les développements des infrastructures et le changement dans l’utilisation des terres en faveur des industries et de l’exploitation minière affecte déjà gravement la sécurité alimentaire et nutritionnelle des plus pauvres du pays ainsi que beaucoup des 104 millions de la population indigène qui dépendent partiellement des forêts.

En raison des centaines de conflits liés à la terre qui au cours des deux dernières décennies ont retardé des projets industriels et miniers, des barrages et d’autres infrastructures, le gouvernement a alloué 2,68 millions d’hectares en remparts de terres, en barricadant certains d’entre eux dans huit états, selon un récent reportage.

Un corridor industriel est en cours de planification entre le centre financier de Mumbai et la capitale New Delhi, qui va développer jusqu’à huit nouvelles villes industrielles dans six états. L’Inde a construit 20.000 km de routes nouvelles et aménagées entre 2012 et 2017 pour améliorer les systèmes de transport. Une pénurie aiguë de 18 millions de logements urbains a amené le gouvernement indien en 2012 à transformer les périphéries urbaines pour l’expansion, pour ne citer que quelques projets d’infrastructures urbaines.

Même si la quantité totale de terres cultivées en périphérie des villes est élevée, le point faible est que chaque parcelle est relativement petite, avec des petits propriétaires vulnérables qui ont des difficultés pour tenir le coup contre le gouvernement ou les promoteurs immobiliers agressifs.

La perte de terres cultivées peut être compensée par le commerce alimentaire mondial mais ses impacts sont supportés principalement par les pauvres urbains. L’intensification agricole et l’expansion dans les pâturages communaux et les terres moins productives peut compenser la perte de production alimentaire. En Asie du Sud cependant, beaucoup de terrains adaptés sont déjà en cours d’intensification. Avec le changement climatique qui affecte déjà négativement les rendements, l’intensification plus poussée sera contre-productive.

Des politiques pour assurer une urbanisation durable et des quantités et qualités adéquates de l’approvisionnement alimentaire, comprennent la protection des terres agricoles périurbaines contre la conversion, en incitant les agriculteurs dans la proximité des villes à maximaliser la production et en encourageant les résidents urbains à cultiver de la nourriture même sur des petites parcelles ou sur les toits. Cependant, à ce jour, la qualité de gouvernance dans les pays avec des pertes de terres cultivées importantes tend à être moyenne ou faible dans des économies émergentes comme l’Inde ou la Chine, d’après l’étude de la PNAS.