Quand les femmes ont les droits fonciers, les données changent

New Delhi, juin 12 2017 (IPS) – A Meghalaya, le point chaud du Nord-est de l’Inde pour la biodiversité, les trois tribus les plus importantes sont matrilinéaires. Les enfants reçoivent le nom de famille de leur mère et les filles héritent la terre familiale.

Les droits de propriété des femmes entraînent plusieurs résultats positifs pour elles-mêmes et leurs familles, y compris la résilience aux chocs climatiques, à la productivité économique, à la sécurité alimentaire, à la santé et à l’éducation. Ici une jeune femme tribale travaille ensemble avec son mari pour planter du ris dans la province de Rayagada en Inde. Crédit: Manipadma Jena/IPS Puisque les femmes possèdent la terre et ont toujours pu décider de ce qu’on pouvait cultiver et de ce qu’on devait garder, l’État n’a pas seulement un système alimentaire qui est très résistant au climat mais il cultive également des plantes rares qui sont comestibles et des plantes qui sont médicinales, selon des chercheurs.

L’importance de la protection de toute la gamme des droits de la femme devient d’autant plus urgente car le nombre de ménages dirigés par des femmes en zones rurales continue d’augmenter dans le monde entier.

L’ancienne culture donne aux femmes indigènes Meghalaya de l’autonomie en possédant de la terre, et cela améliore largement leur résilience aux chocs alimentaires que le changement climatique leur impose. Mais la grande majorité des femmes des pays en voie de développement n’ont pas voix dans la gestion de la famille ou de la terre commune; et les lois nationales non plus ne soutiennent pas leur droit de posséder la terre où elles sèment et récoltent les fruits pour nourrir leur famille.

Selon un nouveau rapport de l’Initiative pour les droits et les revenus (IDR), la protection légale pour les femmes rurales et indigènes pour pouvoir posséder et organiser elles-mêmes est inadéquate ou non existante dans 30 pays de bas ou moyens revenus.

Cette conclusion exprimée en chiffres montre que le progrès qu’ont fait les femmes indigènes et locales récemment en acquérant la reconnaissance légale du territoire gardé en commun pourrait s’avérer incertain.

Stephanie Keene, analyste des droits de propriété pour IDR, une coalition globale travaillant pour forêt et droits de ressources des communautés indigènes et locales, a raconté à IPS dans une interview via e-mail: «En général, les protections légales internationales pour les femmes indigènes et rurales de leurs droits de jouissance doivent se refléter dans les législations nationales qui règlent leurs actions quotidiennes avec les forêts communes».

Ces 30 pays ensemble détiennent les trois quarts des forêts du monde en développement ce qui reste critique pour atténuer le réchauffement global et les catastrophes naturelles ainsi que les sécheresses et la dégradation des terres.

En Asie du Sud, la migration de détresse due au changement climatique et surtout aux sécheresses est importante, car plus de trois quarts de la population dépendent de l’agriculture dont plus de la moitié sont des agriculteurs de subsistance qui dépendent des pluies pour l’irrigation.

«Pour beaucoup de peuples indigènes, ce sont les femmes qui sont les producteurs de denrées alimentaires et qui gèrent leurs forêts et terres coutumières. La sauvegarde de leurs droits va cimenter les droits de leurs communautés pour posséder collectivement la terre et les forêts qu’elles ont protégées et dont elles dépendent depuis des générations», dit Victoria Tauli- Corpuz, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

«Les communautés indigènes et locales dans les dix pays asiatiques qu’on a analysés assurent la reconnaissance la plus uniforme des droits de succession des femmes au niveau de la communauté. Cette observation régionale n’est pourtant pas remarquée en Inde ni au Népal où des lois inadéquates concernant la succession et règlement de différends au niveau de la communauté rendent les droits de forêts des femmes particulièrement vulnérables», déclare Keene à IPS dans l’étude IDR .

La désertification, la crise silencieuse, invisible, menace un tiers des terres de la planète. Cette photo de 2013 enregistre les efforts de reboisement du Désert de Kubuqi, au septième rang mondial des plus grands déserts sur Terre. Crédit: Manipadma Jena/IPS «Aucun des cinq cadres légaux analysés au Nepal concernent les droits de succession au niveau de la communauté ou le règlement de différends. Bien que la Loi sur la reconnaissance des droits forestiers (Forest Rights Act) de l’Inde reconnaisse les règles d’héritage de terre des tribus et autres habitants de la forêt, les droits de succession spécifiques des femmes au niveau de la commune et le règlement des différends n’est pas attribué explicitement. En Inde, l’héritage peut être réglé par des lois civiles, religieuses ou personnelles mais certaines ne garantissent pas explicitement les droits d’héritage égaux pour les femmes et les filles», ajoute Keene.

En signalant les défis des grands décalages dans les droits fonciers des femmes sous des lois internationales et des droits qui sont reconnus par les gouvernements de l’Asie du Sud, Madhu Sarin, qui était impliqué dans l’élaboration du Forest Rights Act et maintenant veut aller plus loin pour sa mise en œuvre, a raconté à IPS: «Là où les gouvernements ont ratifié des conventions internationales, ils sont en principe d’accord pour rendre les lois nationales compatibles avec celles-là. Néanmoins il reste un abîme énorme entre ces engagements et leur application dans la pratique. Premièrement, la plupart des gouvernements n’ont pas de mécanismes ou exigences contraignantes pour assurer cette compatibilité».

«En plus, les bénéficiaires des lois d’égalité des sexes restent non-organisés et inconscients là- dessus» ajoute-t-elle.

Les droits fonciers des femmes, les sécheresses périodiques et la désertification rampante Selon la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CLD), la chose à faire pour combattre la sécheresse, qui cause plus de morts et déplace plus de personnes que toute aucune autre catastrophe naturelle, et pour stopper la désertification – la crise invisible et silencieuse qui menace un tiers de la superficie globale des terres – consiste à introduire des réformes légales urgentes afin d’établir la parité entre les sexes dans la propriété foncière de forêts et de fermes et leur gestion.

«Dans les pays en voie de développement, les femmes rurales pauvres sont cruciales pour la survie de leur famille. La terre fertile est leur source de vie. Pourtant le nombre de personnes touchées par la dégradation de leur terre croît rapidement. Mauvaises récoltes, pénurie d’eau et la migration de cultures traditionnelles détériorent les moyens de subsistances rurales. Les actions pour arrêter la perte de terrain fertile doivent se concentrer sur les ménages. A ce niveau, l’usage de terres est basé sur les rôles attribués aux hommes et aux femmes. C’est ici que le courant peut commencer à changer de direction», dit Monique Barbut, Secrétaire Exécutive du UNCCD dans l’étude 2017 de l’organisation. Combler l’écart entre les sexes dans le domaine de l’agriculture augmenterait à lui seul le rendement des fermes des femmes de 20 à 30 pourcent et le rendement total en agriculture dans les pays en développement de 2,5 à 4 pourcent, selon les données de l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) citées dans l’étude. Pourquoi l’écart des sexes doit se fermer dans le domaine des droits des fermes et des forêts. La réalité sur le terrain n’est pourtant n'est même pas près de se transformer en égalité des sexes, bien qu’elle soit si essentielle pour réaliser les Objectifs de Développement Durable 1, 2 et 5 qui sont liés directement avec les droits fonciers.

Le changement de climat annonce des nouvelles dynamiques de la population. Si l’émigration des hommes indigènes et locaux des communautés continue d’augmenter à cause de la diminution de la productivité du sol, de la croissance de la population et des opportunités croissantes de travail salarié, plus de femmes sont délaissées et deviennent de facto gestionnaires des terres et assument des responsabilités plus grandes dans les communautés et les ménages.

Comme le nombre de ménages dirigés par des femmes dans le milieu rural ne cesse de croître dans le monde entier, l’importance de protéger toute la gamme des droits de propriété de la femme devient de plus en plus urgent. Le pourcentage des ménages dirigés par des femmes est en augmentation dans la moitié des 15 pays les plus densément peuplés, l’Inde et le Pakistan inclus. Bien qu’il n’y a pas de données mises à jour sur la croissance des ménages dirigés par les femmes, le groupe de recherche politique l'Institut International pour l’environnement et le développement (IIED) a trouvé dans son étude de 2014 que depuis 2000 à 2010 un peu moins de la moitié de la croissance de la population urbaine peut être attribuée à la migration. La contribution de la migration est considérablement plus élevée en Asie où l’urbanisation est presque de 60 pourcent et on s’attend à ce qu’elle continue de croître, même si à un taux décroissant.

«Tant que les femmes n’obtiennent pas un statut égal dans toutes les lois qui gouvernent des terres indigènes, leurs communautés sont fondées sur un terrain fragile», avertit Tauli- Corpuz.

Sans protection légale pour les femmes, les terres communes sont vulnérables au vol et à l’exploitation qui menace les forêts tropicales, qui forment un rempart critique contre le changement du climat, de même que les efforts pour éradiquer la pauvreté dans les communautés rurales.

Avec l’assaut des grandes industries sur les terres de la communauté de par le monde, le droit de propriété des femmes est fondamental pour la continuité de leur identité culturelle et de la gouvernance des ressources naturelles, selon l’étude de l’IDR.

«Quand les droits de la femme d’accéder à utiliser et contrôler les forêts et les ressources de la communauté sont incertains et surtout si le droit des femmes de participer de façon significative aux décisions de la gouvernance au niveau de la communauté n’est pas respecté, leur capacité pour s’acquitter des responsabilités économiques et culturelles substantielles sont compromises, ce qui provoque la souffrance de familles et de communautés entières», selon Keene.

En outre, plusieurs études ont établi que les femmes sont touchées différemment et de façon disproportionnelle par des chocs au niveau de la communauté, comme le changement de climat, les catastrophes naturelles, les conflits et les acquisitions de terres à grande échelle, ce qui souligne l’urgence prioritaire de la fortification des droits fonciers des femmes.

Avec la féminisation croissante de l’agriculture à cause de l’émigration des hommes et l’augmentation de l’éducation des femmes, les pratiques foncières inéquitables entre les sexes ne peuvent plus être maintenues dans le temps, conclut l’étude de l’IDR. Cependant, atteindre l'égalité des sexes dans les droits fonciers requiert une forte volonté politique et de grands changements sociaux, en particulier dans l’Asie du Sud patriarcale, comme l’affirment les chercheurs.