CTBTO, le chien de garde du nucléaire qui ne dort jamais

NATIONS UNIES, 22.06.2015 (IPS) – Malgré leurs capacités à contrecarrer les sanctions du Conseil de sécurité et à éviter les condamnations de l’Assemblée générale, les puissances nucléaires mondiales ne peuvent pas échapper à la vigilance d’un organisme international de surveillance clé : l’Organisation du traité de l’interdiction complète des essais nucléaires (CTBTO).

Son réseau de surveillance détecte les essais nucléaires clandestins par l’intermédiaire du sol – tout en enregistrant des tremblements de terre et des éruptions volcaniques quasiment en temps réel ou en suivant des tempêtes importantes et des icebergs à la dérive.

Certains comparent le système à un stéthoscope et renifleur combiné géant qui observe, écoute, ressent et renifle les irrégularités planétaires.

Et le réseau ne dort jamais car il a travaillé 24 heures sur 24 depuis son installation il y a 18 ans – principalement pour détecter les explosions nucléaires au-dessus et en-dessous de la surface du sol.

Le réseau est un moyen de veiller à ce qu’il n’y ait pas de violations du traité d’interdiction des essais car le Traité de l’interdiction complète des essais nucléaires (CTBT) interdit les explosions nucléaires à l’échelle mondiale dans l’atmosphère, sous l’eau et sous terre.

« Le Système de surveillance international du CTBTO s’est découvert une mission encore plus vaste que celle prévue par ses créateurs : la surveillance d’une Terre active et en évolution, » a déclaré à IPS le Dr. Lassina Zerbo, Secrétaire exécutif du CTBTO.

Il a dit que certains comparaient le système à un stéthoscope et renifleur combiné géant qui observe, écoute, ressent et renifle les irrégularités planétaires.

C’est le seul réseau mondial qui détecte la radioactivité atmosphérique et les ondes sonores que les humains ne peuvent pas entendre, a dit le Dr. Zerbo.

Le réseau de surveillance mondial du CTBTO comprend à présent 300 stations, dont certaines se trouvent dans les zones les plus reculées et inaccessibles de la Terre et de l’océan.

Le réseau récolte quatre types de données : sismiques (ondes de choc dans le sol), hydroacoustiques (mesurant le son à travers l’eau), infrasonores (sons à basse fréquence) et radionucléidiques (radioactivité). Il est complet à environ 90 pourcent.

Quand il sera complet, le système comprendra 337 stations placées partout dans le monde de façon à surveiller efficacement tous les coins de la planète.

« Le CTBT sauve des vies avant même d’entrer en vigueur, » déclare le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon.

Actuellement, le réseau recueille environ 15 gigaoctets de données par jour et les envoie en temps réel au centre d’analyse de données du CTBTO à Vienne, en Autriche.

Un rapport d’analyse quotidien est ensuite envoyé aux 183 États membres du CTBTO pour leurs propres utilisations et analyses.

Ce système universel d’observation, d’écoute et de reniflage de la Terre est le travail du CTBTO, qui tient une conférence scientifique et technique tous les deux ans.

La Science and Technology Conference de cette année devrait se dérouler du 22 au 26 juin au Palais Hofburg à Vienne, la capitale de l’Autriche.

Le réseau de surveillance du CTBTO a connu jusqu’à maintenant des performances excellentes : le 12 février 2013, 94 des stations de surveillance sismique du réseau et deux de ses stations infrasonores ont détecté et alerté les États membres d’une détonation nucléaire plus d’une heure avant que la Corée du Nord déclare avoir effectué un test.

Trois jours plus tard, le 15 février 2013, les stations de surveillance des infrasons du CTBTO ont détecté des signaux émis par une météorite qui avait pénétré dans l’atmosphère et s’était désintégrée dans le ciel au-dessus de Tchelyabinsk, en Russie.

Le réseau du CTBTO – décrit comme le seul réseau mondial en son genre pour la détection des infrasons – a enregistré l’onde de choc causée par la boule de feu en explosion.

Ces données ont aidé les scientifiques à localiser la météorite, à mesurer la libération d’énergie, son altitude et sa taille.

Et l’échantillonnage atmosphérique du système a suivi le panache radioactif invisible du désastre de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi en mars 2011, alors qu’il se répandait dans le monde entier.

Il a montré que la radioactivité en dehors du Japon était en-dessous du niveau de danger. Selon le CTBTO, cette connaissance a aidé les agents de sécurité publique du monde entier à comprendre les mesures à prendre.

Le réseau de surveillance a également aidé les centres d’alerte aux tsunamis à lancer des avertissements rapides en temps réel après de forts séismes, a amélioré les modèles météorologiques pour une meilleure prévision météo et a apporté des informations sur les éruptions volcaniques.

En outre, il a amélioré les alertes que les autorités aéronautiques civiles utilisent en temps réel pour avertir les pilotes de poussière volcanique dommageable, a apporté des informations plus précises au sujet du changement climatique, a amélioré la compréhension de la structure du noyau interne de la Terre et a suivi les habitudes migratoires et les effets du changement climatique sur la vie marine.

Pour accéder aux données, le CTBTO a créé un Centre virtuel d’exploitation de données qui fournit les données à des scientifiques et chercheurs de nombreux domaines pour leurs recherches et leur permet de publier de nouvelles découvertes.

Plusieurs universitaires ont fait l’éloge du système.

« Le Système international de surveillance est un outil formidable pour surveiller le noyau de la planète, l’atmosphère, les océans ou l’environnement, » déclare le Dr. Raymond Jeanloz, professeur de Géophysique et Astronomie à l’Université de Californie, Berkeley.

« Les données du CTBTO nous donnent un aperçu des profondeurs internes de la Terre – ce qu’il se passe et comment cela a évolué au cours de l’histoire de la Terre, » dit le Professeur Miaki Ishii du Département des Sciences de la Terre et des Planètes de l’Université Harvard.

Randy Bell, directeur du Centre international de données du CTBTO, déclare lui : « Les données mondiales sont extrêmement précieuses car elles s’étendent sur des décennies, sont de haute qualité et sont hautement calibrées. Les données peuvent être utilisées pour analyser des évènements locaux, régionaux ou mondiaux. » Bell dit que son travail principal est de détecter les essais nucléaires, mais qu’autoriser que les données soient utilisées pour la science signifie que plus d’experts ont accès aux données.

« Ce qui est du bruit de fond pour moi peut être un signal pour quelqu’un d’autre, » dit-t-il.

Entretemps, au cours d’une seule journée, le Centre international de données du CTBTO analyse plus de 30 000 signaux sismiques pour identifier des évènements répondant à des critères stricts.

Le CTBTO dit que même si de nombreux pays possèdent leurs propres systèmes de surveillance sismique, la surveillance du CTBTO est « mondiale, permanente, calibrée et les données sont partagées de façon égale ».

Ses réseaux sismiques ont surveillé des infrasons allant jusqu’à l’Afrique subsaharienne, l’Afrique de l’Est et du Sud, l’Indonésie et l’Antarctique.

Le CTBTO a également un réseau de postes d’écoute souterrains situés dans des eaux faisant partie des plus reculées au monde, à l’écoute de tremblements de terre dans la cordillère des Andes et autour du Pacifique nord.

Les données ont été utilisées pour suivre les habitudes migratoires d’une espèce particulière de baleine bleue dans l’Océan Indien.

« Les nations du monde ont investi environ un milliard de dollars pour créer l’Oreille Mondiale, » dit le Dr. Zerbo.

« Chaque année elles continuent leurs investissements, en espérant qu’elle ne devra jamais être utilisée pour l’objectif prévu, c’est-à-dire la détection d’une violation du Traité d’interdiction des essais nucléaires. Les retombées civiles et scientifiques représentent un remboursement immédiat au niveau mondial et augmentent le soutien pour le Traité.

« Les données étant utilisées par de plus en plus de scientifiques et d’organisations, la valeur devient toujours plus apparente, » dit le Dr. Zerbo. (17 juin 2015) Contribution supplémentaire de Valentina Gasbarri à Vienne.