AFRIQUE: Des éducateurs sur les questions sexuelles luttent pour briser des tabous

KUALA LUMPUR, 3 juin (IPS) – Mae Azango, une journaliste libérienne, affirme qu'elle a passé un an à vivre “comme une chauve-souris, passant d'arbre en arbre” avec sa fille pour échapper aux fanatiques religieux qui menaçaient de la tuer pour avoir dénoncé la pratique des mutilations génitales féminines dans son pays natal en 2012.

Journaliste expérimentée à 'FrontPage Africa', une publication locale, Azango a déclaré à IPS que bien que le gouvernement libérien ait signé un traité en 2012 promettant à ses citoyens le droit à l'information, il continue de cacher aux journalistes des données sur la santé et les droits sexuels et de reproduction. “Avec chaque histoire que j'écris, je prends un grand risque”, dit-elle, ajoutant qu'elle dépend entièrement de “sources secrètes” au sein du gouvernement pour recueillir des informations, puisque très peu sont partagées dans le domaine public.

Ses malheurs ont trouvé écho parmi des centaines de femmes et d'experts de la santé réunis à Kuala Lumpur, la capitale de la Malaisie, pour le troisième forum annuel mondial de l’organisation 'Women Deliver' qui a pris fin le 30 mai.

Venus de différents coins du globe, les participants à la conférence n'avaient aucune difficulté à identifier des objectifs communs: briser les tabous qui entourent l'éducation sexuelle et créer un climat sûr pour les défenseurs, professionnels de la santé et les éducateurs pour mener la sensibilisation sur les rapports sexuels protégés et le planning familial.

Au Maroc, un pays musulman de 32 millions d'habitants, l'éducation sexuelle pour les jeunes est interdite dans les écoles parce que les parlementaires croient que c'est un “mauvais concept, conçu pour promouvoir la promiscuité”, a indiqué à IPS, Amina Lemrini, une défenseuse de la santé sexuelle et de la reproduction.

Elle affirme que des progrès sur l'amélioration des services de la santé sexuelle dans son pays ont été particulièrement lents en raison des tabous introduits par les chefs religieux.

Avec un gouvernement peu disposé à remettre en cause les dignitaires religieux, la fourniture des services de santé essentiels tombe entièrement sur les épaules de la société civile, qui est ensuite menacée pour ses efforts.

Lemrini indique qu'elle ne connaît pas un seul activiste des droits à la reproduction qui n'ait pas été menacé, pourtant le gouvernement ne leur offre aucune protection.

Leur détresse a été reconnue par de grands experts du domaine, notamment le directeur exécutif du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), Babatunde Osotimehin, qui a déclaré à IPS que le fondamentalisme religieux est “en effet un souci” quand il s'agit de progrès dans la santé sexuelle.

Pourtant, il a exhorté les activistes à poursuivre leur travail, ajoutant: “Le fondamentalisme existe dans toutes les sociétés et toutes les religions – ce qui importe, c’est la façon dont nous véhiculons notre message”.

Il croit que si plus de gens sont sensibilisés sur leurs droits et leurs choix, ils n'hésiteront pas à braver les lois archaïques et les soi-disant “tabous culturels”.

“Les gens moyens dans la rue ne veulent pas d'une situation où la mort vient frapper tous les jours pour des raisons qui peuvent être évitées”, a-t-il souligné.

En effet, même un coup d'œil rapide sur les statistiques mondiales suffit pour constituer un dossier solide sur la nécessité d'une meilleure communication: selon l’UNFPA, près de 800 femmes meurent chaque jour à cause des complications liées à la grossesse; en un an, ce nombre avoisine 350.000 morts, dont 99 pour cent surviennent dans les pays en développement.

Les avortements sélectifs selon le sexe et l’abandon de nouveau-nés filles ont provoqué environ 134 millions de femmes “portées disparues” à travers le monde.

Procédant à un large examen des données mondiales, l’UNFPA estime que “des millions de filles” pratiquent des rapports sexuels non protégés et manquent d'informations sur les contraceptifs. Osotimehin a écrit récemment qu'un “besoin non satisfait de planning familial existe chez 33 pour cent des filles entre 15 et 19 ans… en Ethiopie, 38 pour cent en Bolivie, 42 pour cent au Népal, 52 pour cent en Haïti et 62 pour cent au Ghana”.

Nyaradzayi Gumbonzvanda, directrice de l'Association chrétienne des jeunes femmes (YWCA, son sigle anglais), a déclaré à IPS qu'abandonner la communication sur la santé et les droits sexuels et de la reproduction n'était pas une option.

“Nous avons besoin d'un environnement favorable pour les personnes qui discutent de cette question”, a-t-elle dit. “Nous devons protéger les médias – ce n'est pas un choix. Les gouvernements doivent augmenter le niveau de coopération avec les médias et fournir un grand appui juridique là où cela n'est pas encore disponible”.

Gumbonzvanda pense que le journalisme citoyen pourrait être un moyen efficace d'atténuer le risque que constituent les fondamentalistes, non seulement en amplifiant les voix de ceux/celles qui ne sont pas souvent entendu(e)s, mais aussi en donnant des pouvoirs aux citoyens ordinaires de mener des actions.

Nulle part le pouvoir du journalisme citoyen n’était plus évident que durant la révolution en Egypte en 2011, où des blogs, tweets et messages sur Facebook remplaçaient les chaînes de télévision, les journaux et les stations de radio pour atteindre des millions de personnes.

Aujourd'hui, comme les Egyptiens luttent contre les politiques conservatrices du parti au pouvoir, les Frères musulmans, ce réseau de journalistes citoyens a tourné son attention sur la santé de la reproduction et les rapports sexuels protégés, des sujets qui fâchent les islamistes.

Ahmed Awadalla, chargé des violences sexuelles et des violences basées sur le genre pour l'organisation caritative britannique, Assistance aux réfugiés en Afrique et au Moyen-Orient (AMERA, son sigle anglais), a indiqué à IPS que quiconque discute de la question risque la détention, l'arrestation, le harcèlement et l'emprisonnement.