CAMEROUN: Pratiquer l’agriculture parmi les déchets

YAOUNDE, 3 sep (IPS) – Juliana Numfor, une agricultrice camerounaise en milieu urbain, dispose de six lopins de terre sur lesquelles elle cultive du maïs, du manioc, des patates douces et des légumes feuillus, notamment des choux, le gombo sauvage et des légumes verts, près de Yaoundé, la capitale du pays.

Le sol sur lequel poussent ses cultures est humide et visiblement marécageux, et un courant d'eau coule à proximité. Mais si vous regardez de plus près, vous remarquerez que l'eau est sombre et sent mauvais.

En effet, il s’agit des eaux usées, qui proviennent d'un quartier résidentiel estudiantin à Yaoundé, communément appelé Cradat, qui est à moins de 400 mètres de ses lopins de terre.

Mais c'est justement grâce aux eaux usées que Numfor pratique l'agriculture sur ce domaine public.

Elle a déclaré à IPS qu'elle préfère planter ses cultures sur les sites urbains d’eaux usées parce qu’elle peut aisément les irriguer en utilisant les eaux usées facilement disponibles. Elle a dit que c'était parce que les précipitations étaient devenues de plus en plus irrégulières, allant et venant quand elle s'y attendait le moins.

“Les types de cultures sur ce morceau de terre peuvent se développer sur tout terrain fertile si elles sont bien arrosées. Mais au cours de cette période en août, qui est censée être un moment très humide de l'année à Yaoundé, très peu de pluies sont tombées. Cela fait qu’il est impossible pour les cultures maraîchères de se développer sans une bonne irrigation”, a souligné Numfor.

Et Numfor n'est pas la seule agricultrice à faire cela. De petits fermiers autour du centre-ville de Yaoundé pratiquent de plus en plus l'agriculture sur les sites urbains d’eaux usées.

Bien qu'il n'existe pas de chiffres officiels sur le nombre de personnes qui pratiquent l'agriculture dans ces zones, le ministère de l'Agriculture et du Développement rural (MINADER) a admis que la pratique était répandue.

Les petits agriculteurs dans et autour de Yaoundé peuvent être vus en train de planter leurs cultures sur des domaines publics, le long des chemins de fer, dans les zones de préservation, et même à proximité des routes.

“C'est une pratique de longue date qui s'est seulement intensifiée pour plusieurs causes, dont les changements climatiques. Beaucoup de fermiers ont eu recours à l'agriculture urbaine avec les eaux usées”, a indiqué à IPS, Collette Ekobo, une inspectrice agricole au MINADER.

Une femme de 45 ans a déclaré à IPS qu'elle connaissait 11 autres femmes qui ont produit des cultures sur des terres près des eaux usées.

“Tout ce que je sais, c'est que le sol est très fertile. Je pense que quand les gens vident leurs égouts et les déchets ménagers dans cette eau, cela rend la terre très fertile pour l'agriculture. Et il y a de l'eau tout au long de la saison”, a-t-elle expliqué.

L'exode rural, aggravé par les effets néfastes des changements climatiques sur l'agriculture en milieu rural, est considéré comme l'une des principales raisons qui expliquent le nombre croissant d'agriculteurs urbains dans la ville.

En 2011, le MINADER a commencé à prévenir les fermiers de la variabilité climatique qui affecte l'agriculture à travers le pays. Yaoundé, qui se trouve dans la région du Centre du Cameroun, a enregistré une réduction des précipitations.

“Au fil des ans à Yaoundé, la pluviométrie a été tellement variable et pas facile à comprendre. Les précipitations sont devenues très irrégulières, imprévisibles et réduites. Cela a entraîné une sécheresse prolongée et le tarissement des cours d'eau, accompagnés de conditions climatiques très chaudes qui, toutes, nous provoquent de mauvais rendements agricoles et une faible production”, a indiqué le ministère.

Ekobo a dit qu'en raison du changement dans le climat, beaucoup de fermiers ont eu du mal à prédire le moment pour commencer à planter.

“Le mois de mars marque traditionnellement le démarrage de la saison de plantation dans la région du Centre du Cameroun, après le début des pluies. Mais en raison du changement dans les pluviométries, les agriculteurs ont désormais réajusté leurs périodes de plantation, un phénomène qu’il est plutôt difficile de maîtriser parfaitement. Il a causé beaucoup de confusion chez les fermiers”, a-t-elle expliqué.

Elle a ajouté que l'agriculture en milieu urbain a été intégrée dans le système économique et écologique urbain du Cameroun.

“La terre est riche en ressources urbaines comme les déchets organiques, qui sont utilisés comme compost, et les eaux usées urbaines, qui sont utilisées pour l'irrigation. Il existe également des liens directs vers les consommateurs urbains”, a souligné Ekobo.

Mais l'agriculture sur les sites urbains d’eaux usées n'est pas une pratique sûre, selon Foongang Mathias, un expert en agriculture au ministère de l'Environnement, de la Protection de la nature et du Développement durable.

“L'irrigation par des eaux usées fournit aux plantes les éléments nutritifs nécessaires, notamment l'azote et le phosphore qui sont requis par les cultures pour bien pousser. Mais l'agriculture dans les eaux usées constitue à la fois des menaces sanitaires et environnementales, non seulement pour les agriculteurs urbains, mais aussi pour les consommateurs des produits cultivés sur ce domaine”, a-t-il affirmé.

Il a dit à IPS que des déchets toxiques provenant des maisons, des hôpitaux et des industries ont été probablement déposés ou transportés dans les eaux usées.

“Ces eaux contiennent des organismes pathogènes et vecteurs de maladies semblables à ceux des excréments humains. Les agents pathogènes qui sont amenés avec les eaux usées peuvent survivre dans le sol ou sur les cultures et sont responsables de maladies humaines”, a-t-il souligné.

En outre, selon l'Organisation mondiale de la santé, des preuves disponibles indiquent que presque tous les agents pathogènes excrétés peuvent survivre dans le sol pendant une période de temps suffisante pour constituer des risques pour les ouvriers et ouvrières agricoles.

Malgré les risques pour sa santé et celle de ses clients, Numfor a déclaré à IPS que les gains économiques tirés de l'agriculture dans les zones urbaines des eaux usées dépassent de loin les dangers.