POLITIQUE-NIGERIA: Des élections décisives – pour les hommes, en réalité

LAGOS, 24 avr (IPS) – Des déclarations de suspicion à l'égard de la commission électorale, des menaces de boycott de l'opposition, un candidat clé revenant dans la course à la dernière minute. Des coups de théâtre politiques n'ont pas manqué sur les élections décisives de samedi au Nigeria, ni sur le débat sur la capacité ou non du pays à passer avec succès le pouvoir d'un gouvernement civil à un autre pour la première fois depuis l'indépendance en 1960.

Mais le temps et l'énergie restaient-ils pour discuter d'une autre question pressante, non moins dramatique : les chances des femmes dans les élections à la présidence et au parlement national? En l'absence d'un tel débat, y avait-il même une couverture équitable de celles qui ont réussi à devenir candidates dans un pays où les femmes sont fortement sous-représentées en politique? Tandis que les femmes font d'énormes avancées dans un certain nombre d'autres Etats africains, elles sont seulement 22 dans la Chambre basse de la législature sortante du Nigeria, forte de 360 membres; et, seulement trois sur les 109 sénateurs de cette nation d'Afrique de l'ouest sont des femmes. Sur les 2.484 candidats qui se sont présentés pour la Chambre basse cette année, 141 sont des femmes — tandis que 54 des 792 candidats aux sénatoriales sont des femmes.

'Longe Ayode de Media Rights Agenda', une organisation non gouvernementale (ONG) basée dans la capitale économique, Lagos, affirme que les femmes ont été marginalisées dans la couverture de la campagne électorale. "Elles (les femmes candidates) ont été à peine mentionnées dans les médias nigérians", a-t-il dit à IPS. "Je pense que les femmes ont reçu une couverture limitée basée sur l'état d'esprit des journalistes, qui croient que ce sont les hommes qui font les informations. Il se peut également qu'ils aient cru que la politique est un jeu destiné aux hommes et non aux femmes".

Mais Gbenga Adefaye, rédacteur en chef du 'Vanguard' basé à Lagos, un journal de renom, soutient que la couverture médiatique des femmes candidates reflétait simplement leur présence limitée sur les listes des principaux partis.

"Les femmes n'ont pas été désignées sur des plates-formes puissantes. Ceci pourrait affecter le type de projection qu'elles ont reçu dans les médias. Les principaux partis avaient généralement tous des candidats hommes", a-t-il indiqué dans un entretien avec IPS.

"Les femmes n'étaient pas délibérément exclues des médias. Cela n'a rien à voir avec le genre, mais (avec) votre expérience — et un mérite évident de faire parler de vous dans la presse".

L'expérience de Nkechi Nwaogun pourrait donner à Adefaye des raisons de s'interroger. Alors que ce membre de la Chambre des représentants du Nigeria brigue un siège au sénat au nom du 'People's Democratic Party' (PDP), au pouvoir, elle a quand même éprouvé des difficultés à attirer l'attention des journalistes.

"Le manque d'accès aux médias a été un recul pour moi. Je n'ai pas pu faire passer mes points de vue à la population", a-t-elle déclaré à IPS. "Le Nigeria est toujours en train d'intégrer les femmes dans la politique. Il y a ce sentiment culturel que la politique est pour les hommes seuls (même si) votre qualification, votre capacité et votre expérience sont des choses qui devraient compter. Nous avons besoin de faire un travail de plaidoyer auprès des hommes, pour qu'ils puissent voir les femmes selon leurs mérites".

Quelles que soient les raisons qui sous-tendent le manque de visibilité des femmes dans les médias, elles peuvent avoir laissé tomber de côté d'importantes questions.

"Les sujets de campagne des femmes tournent autour de l'écart entre les hommes et les femmes, par exemple, dans l'éducation et la participation à l'économie. Les femmes parlent d'égalité de genre; les hommes ne sont généralement pas préoccupés par ces questions liées au genre", affirme Agina Udeh, directrice de 'Gender and Development Action', une ONG basée à Lagos.

Une visibilité limitée pourrait également contribuer à une mauvaise performance des femmes aux élections et enraciner la réticence des partis politiques à les avoir comme candidates à l'avenir — introduisant un cercle vicieux de faible représentation politique pour les femmes. "Les gens ne voteront probablement pas pour les politiciens qu'ils ne connaissent pas", a déclaré Ayode. "Ils doivent vous entendre avant de pouvoir voter pour vous".

La violence qui accompagne souvent la campagne au Nigeria constitue un autre obstacle pour les femmes politiciennes, perçues comme étant moins désireuses ou moins capables que les hommes de s'engager dans la persuasion à couteaux tirés (voir Nigeria : Qu'est-ce que huit années de démocratie ont apporté aux femmes politiciennes?').

Des ressources financières entrent également en ligne de compte. "Ce à quoi nous jouons ici, c'est la politique de l'argent, et les hommes — qui sont généralement plus riches — sont mieux placés pour faire ce type de politique. Je n'ai pas autant d'argent que mes homologues hommes", a indiqué Nwaogun.

Alors que le Nigeria est le plus grand producteur de pétrole en Afrique — et le huitième sur le plan international — ses citoyens font partie des plus pauvres au monde. La corruption a fait que les bénéfices de la richesse pétrolière du pays ne profitent qu'à quelques-uns, laissant près de 71 pour cent de Nigérians survivre avec moins d'un dollar par jour (ceci selon le Rapport 2006 sur le développement humain, produit par le Programme des Nations Unies pour le développement).

Quelque 60 millions sur les 140 millions d'habitants du pays le plus peuplé d'Afrique s'étaient mis en rang pour voter samedi, au milieu des craintes que les élections du week-end connaîtraient les mêmes problèmes survenus pendant les élections du 14 avril pour les gouverneurs et les législateurs des Etats. Des informations indiquent que plus de 50 personnes avaient trouvé la mort dans la violence liée aux élections du 14 avril. Une litanie d'autres abus, allant du vol d'urnes jusqu'à l'intimidation, a assombri davantage la victoire du PDP dans 27 des 36 Etats du Nigeria.

La Commission électorale nationale indépendante aurait ordonné la reprise des élections dans deux des Etats; toutefois, des observateurs auraient mis en doute les résultats dans environ 10 Etats. Un responsable de la commission a dit à IPS que l'institution devait encore compiler les statistiques sur le nombre de femmes qui ont gagné des sièges dans l'élection du 14 avril.

Dans un discours à la nation le 20 avril, le président Olusegun Obasanjo a admis que les élections du 14 avril étaient entachées d'irrégularités, mais a déclaré que des efforts devaient continuer avec le vote du week-end dernier — perçu comme étant déterminant pour la consolidation de la démocratie dans un pays qui a été sous la dictature militaire pendant la plus grande partie de la dernière moitié de siècle.

La commission électorale a également minimisé l'importance des abus dans le scrutin du 14 avril. Plus tôt la semaine dernière, 18 partis de l'opposition avaient menacé de boycotter les élections du 21 avril si elles n'étaient pas reportées pour permettre la mise en place d'une nouvelle commission. Toutefois, les deux principaux candidats de l'opposition à la présidentielle ont finalement pris part à l'élection. L'ancien dirigeant militaire Muhammadu Buhari s'est présenté pour le 'All Nigeria People's Party', et le vice-président Atiku Abubakar pour 'l'Action Congress'. Le PDP était représenté par Umaru Yar'Adua.

Des statistiques officielles indiquent que 46 partis politiques sont enregistrés au Nigeria — même si 25 seulement ont présenté des candidats à la présidentielle.

Une femme a brigué la présidence : Mojisola Adekunle-Obasanjo, représentant le 'Masses Movement of Nigeria'. Elles sont six femmes candidates à la vice-présidence.

Abubakar avait été initialement exclu de la course par la commission électorale pour corruption présumée. Plus tôt la semaine dernière, la Cour Suprême a annulé la décision de la commission. Dans un rapport du 28 mars intitulé 'Elections du Nigeria : Eviter une crise politique', l’International Crisis Group, basé à Bruxelles, a décrit les efforts pour le disqualifier comme "ayant une motivation politique" et a exprimé des inquiétudes par rapport aux "tentatives d'Obasanjo d’imposer un successeur en excluant des candidats sérieux comme Abubakar".

Les deux hommes étaient en désaccord depuis plusieurs années. Toutefois, les choses se sont aggravées après que Abubakar a aidé à susciter le rejet par le sénat de la tentative d'Obasanjo en 2006 de modifier la constitution, pour se présenter pour un troisième mandat.