POLITIQUE-TOGO: Eviter de créer un précédent en Afrique – Analyse

COTONOU, 15 fév (IPS) – Les chefs d'Etat ouest-africains ont fixé mardi ou mercredi, au plus tard, comme la date limite pour obtenir la réponse du nouveau régime togolais à leur exigence d'un retour à la légalité constitutionnelle au Togo.

Selon des sources diplomatiques à Cotonou, au Bénin, une délégation ministérielle de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO), avec son secrétaire exécutif, Mohamed Ibn Chambas, s'est rendue mardi à Lomé, la capitale togolaise. Elle doit rencontrer les nouvelles autorités du Togo en vue d'obtenir leur réponse à l'exigence de la CEDEAO qui leur avait été notifiée le samedi 12 février à Niamey, au Niger. L'exigence d'un retour à l'ordre constitutionnel avait été décidée par un sommet extraordinaire de la CEDEAO, réuni le 9 février à Niamey. Le sommet avait condamné le "coup d'Etat et les manipulations de la constitution" survenus au Togo, qui ont porté au pouvoir Faure Gnassingbé, le fils du président Gnassingbé Eyadema, décédé le 5 février. Toutefois, dès le lendemain du sommet, le nouveau régime togolais a commencé à jouer au cache-cache avec une délégation de chefs d'Etat de la CEDEAO qui devait le rencontrer à Lomé, le 11 février. A leur grande surprise, Faure Gnassingbé a voulu transférer la rencontre à Kara, le fief politique de la famille Eyadema, dans le nord du pays.

En outre, l'avion transportant une partie de la délégation du président du Nigeria, Olusegun Obasanjo, avait été interdit d'atterrissage à Lomé, la veille, le 10 février. Furieux, les dirigeants ouest-africains se sont arrêtés à Cotonou et ont refusé de se rendre à Kara, craignant que leur présence, dans cette localité, ne soit interprétée comme une reconnaissance de fait du nouveau président autoproclamé. C'est à la suite de ce mécontentement de la délégation que les nouvelles autorités togolaises ont été convoquées dès le lendemain, 12 février à Niamey où la position de la CEDEAO leur a été notifiée par le chef de l'Etat nigérien, Mamadou Tandja, président en exercice de l'organisation régionale. La délégation togolaise était conduite par le Premier ministre Koffi Sama. Selon Issa Mondi-Mondi, un analyste politique résidant à Cotonou, le refus des chefs d'Etat ouest-africains de se rendre dans le fief politique des Eyadema "est l'expression d'une fermeté qui traduit leur volonté d'éviter de créer un précédent avec le cas togolais qui pourrait faire tache d'huile sur le continent". Une source diplomatique proche du secrétariat exécutif de la CEDEAO affirme que le "message de fermeté des chefs d'Etat s'adresse également aux pays occidentaux, et en particulier à la France qui a toujours soutenu le régime du général Eyadema". Interpellé lundi par les députés à l'Assemblée nationale, le gouvernement béninois, a énuméré les différentes sanctions auxquelles s'expose le nouveau pouvoir togolais s'il refuse de se conformer à la l'exigence de la CEDEAO. En plus de l'exclusion du Togo des instances de la CEDEAO, le ministre béninois des Affaires étrangères, Rogatien Biaou, a déclaré qu'il y aurait également un "embargo sur les visas des dirigeants togolais".

Ensuite, a ajouté Biaou, la CEDEAO pourrait appeler des institutions internationales comme l'Union africaine, l'Union européenne et les Nations Unies à "faire geler les avoirs financiers des dirigeants togolais actuels à l'extérieur".

Les députés béninois, toutes tendances politiques confondues, ont souligné, à l'unanimité, la nécessité de rétablir l'ordre constitutionnel au Togo pour "assurer l'avancée de la démocratie en Afrique". La constitution initiale du Togo prévoit qu'en cas de vacance du pouvoir, "la fonction présidentielle est exercée provisoirement par le président de l'Assemblée nationale" qui doit organiser de nouvelles élections dans les 60 prochains jours. Le retour à la légalité constitutionnelle revient donc à destituer le président autoproclamé et à investir le président légal du parlement, Fambaré Natchaba, en exil provisoire au Bénin. Mais les nouveaux dirigeants togolais ne semblent pas être inquiétés par la pression et les menaces de sanctions proférées par la CEDEAO et cherchent à gagner du temps par des consultations séparées dans certains pays de la région, notamment ceux qui sont voisins du Togo. Ces pays proposaient déjà, au sommet de Niamey, une autre option plus modérée demandant à la CEDEAO d'accompagner les nouvelles autorités pour une transition de deux à six mois. "On dirait qu'ils cherchent à diviser les chefs d'Etat pour affaiblir le camp de la grande fermeté mené par Obasanjo", affirme Mondi-mondi à IPS, indiquant que les missions dépêchées par Lomé à Ouagadougou, au Burkina Faso lundi, et à Cotonou, la semaine dernière, visent un tel objectif.

Une délégation togolaise a été reçue par le président burkinabé Blaise Compaoré, lundi à Ouagadougou où elle a déclaré qu'elle était venue rencontrer "le chef de l'Etat d'un pays ami, qui connaît bien les problèmes du Togo".

Selon des informations reçues de Ouagadougou par IPS, le président Compaoré a demandé aux nouvelles autorités togolaises d'organiser rapidement de "nouvelles élections présidentielles et législatives ouvertes à tous".

Cette position est néanmoins considérée par certains observateurs comme plus souple puisqu'elle n'insiste pas pour faire destituer d'abord le président Faure Gnassingbé. Le Burkina Faso, qui est un pays sahélien enclavé, s'est replié sur le port de Lomé pour ses importations et exportations depuis la crise ivoirienne, en 2002, qui le prive du port d'Abidjan, le plus proche de Ouagadougou qui redoute encore les conséquences d'éventuelles sanctions économiques contre le Togo. "Je ne crois pas à la fermeté de plusieurs chefs d'Etat de la CEDEAO, mais je crois que Obasanjo tiendra bon, et s'il tient, les autres tiendront", a déclaré à IPS, Roger Gbégnonvi, professeur de lettres à l'Université d'Abomey-Calavi, au Bénin. "Un des conseillers d'Obasanjo a même indiqué hier (lundi) que le Nigeria n'excluait pas une intervention militaire comme dernière solution si cela était nécessaire", a-t-il ajouté. En outre, depuis le week-end dernier, Gbégnonvi, citant des informations reçues de certains intellectuels du Togo, dénonce la présence, à Lomé, d'un juriste français spécialiste de droit constitutionnel, 'Charles Debarges', accusé d'avoir conseillé les manipulations de la constitution togolaise.

Lundi, le ministère français des Affaires étrangères a publié une déclaration dans la presse, expliquant que Debarges est un professeur de droit constitutionnel de nationalité française, installé au Togo pour son propre compte. "Ce qu'il fait n'engage que sa personne", ajoute la déclaration.

En attendant la réponse du nouveau régime du Togo à la CEDEAO, les Togolais ont répondu à l'appel des partis d'opposition, en manifestant dans les rues de Lomé, samedi, ou en refusant de se rendre au travail, lundi. Dans les deux cas, les manifestations ont été violemment réprimées, faisant quatre morts samedi, et un mort lundi, ainsi que des dizaines de blessés. Des organisations de défense des droits croient que le bilan réel serait plus lourd. Plusieurs radios et télévisions privées, jugées proches de l'opposition, ont été fermées également samedi ou lundi, pour des "raisons fiscales", selon les autorités.