POLITIQUE-TOGO: Eyadema meurt, mais l'incertitude et

COTONOU, 6 fév (IPS) – La décision de l'état-major de l'armée togolaise de remettre le pouvoir à Faure Eyadema, l'un des fils du président Gnassingbé Eyadema décédé samedi à 69 ans, plonge le pays dans une nouvelle incertitude en Afrique de l'ouest après celle de la Côte d'Ivoire.

A peine le Premier ministre togolais Koffi Sama a-t-il annoncé la nouvelle de la mort du chef de l'Etat, que le Haut commandement de l'armée a décidé de confier le pouvoir à son fils, Faure Eyadema, 38 ans, pour lui succéder, en violation de la constitution. La constitution prévoit qu'en cas de vacance du pouvoir, "la fonction présidentielle est exercée provisoirement par le président de l'Assemblée nationale". Faure Eyadema était jusque-là ministre de l'Equipement dans le gouvernement de son père.

Toujours selon la constitution, le président intérimaire doit organiser des élections pour faire désigner un nouveau président dans les 60 jours qui suivent la constatation officielle de la vacance du pouvoir par la Cour constitutionnelle. Mais l'armée, qui n'a aucune prérogative constitutionnelle, a décidé de procéder autrement, comme dans une monarchie. "Ce qui est en cours au Togo est un coup d'Etat militaire", a déclaré le président de la Commission de l'Union africaine (UA), Alpha Oumar Konaré, samedi soir, peu après l'information sur l'investiture éclair du fils, ajoutant que "l'UA n'acceptera jamais de mesures anticonstitutionnelles" pour la succession du président défunt.

Dimanche, le président du Nigeria, Olusegun Obasanjo, président en exercice de l'UA, a renchéri : "L'UA n'acceptera aucune transition inconstitutionnelle au Togo".

"En parfait accord avec la Commission de l'UA, la Communauté des Etats de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO) condamne fermement le coup de force et en appelle au respect des institutions en place dans le pays", a déclaré, pour sa part, le chef de l'Etat nigérien, Mamadou Tandja, président en exercice de la CEDEAO, dans une déclaration publiée dimanche par la porte-parole de l'organisation, Adrienne Diop. Même réaction de la part du président sud-africain Thabo Mbeki qui exige une succession par la voie constitutionnelle. Le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, appelle également les autorités togolaises à respecter la légalité constitutionnelle. Des analystes politiques craignent que des chefs d'Etat de la sous-région refusent d'assister aux obsèques de leur ancien homologue togolais si les militaires ne rétablissent pas la légalité constitutionnelle. Les autorités ont proclamé deux mois de deuil national. Le président du parlement togolais, Fambaré Ouattara Natchaba, qui était à Paris au moment du décès d'Eyadema, a pris précipitamment un avion samedi pour Lomé, mais l'appareil a été interdit d'atterrissage le soir dans la capitale togolaise, toutes les frontières du pays ayant été fermées par les nouvelles autorités dès l'annonce de la mort du président. L'avion a été détourné vers l'aéroport de Cotonou, au Bénin voisin.

Natchaba a déclaré à Cotonou, dimanche après-midi, qu'il ne regagnera pas le Togo "tant que la situation ne sera pas stabilisée", estimant que sa sécurité n'y sera pas garantie. En réaction, le parlement du Togo, qui est dominé par le Parti du rassemblement du peuple togolais (RPT, l'ancien parti unique), a annoncé, dimanche soir à Lomé, la "destitution du président de l'Assemblée nationale" pour élire, à sa place, le même Faure Eyadema. Mais peu avant, le RPT avait déclaré son soutien à la décision de l'armée de lui avoir remis le pouvoir. Les observateurs se sont toujours interrogés avec appréhensions sur l'avenir politique du Togo après la disparition du général Eyadema qui a régné sur le pays pendant 38 ans sans discontinuer et sans partage. Mais la décision de l'armée togolaise a surpris tout le monde, selon Roger Gbégnonvi, professeur de lettres à l'Université d'Abomey-Calavi (UAC), au Bénin.

"Les militaires togolais ont peur, ils ont une peur bleue de ce qui va se passer après la mort du général Eyadema; ils ont peur que les gens ne cherchent à prendre leur revanche sur eux et ils veulent parer au plus pressé", a expliqué à IPS, Gbégnonvi qui est également un des leaders de la société civile active au Bénin.

"J'ai peur que la peur des autorités actuelles ne les pousse à commettre des bêtises comme par le passé car ces militaires peuvent se dire qu'ils pourraient mourir dans cette affaire si cela se gâtait", a souligné Gbégnonvi à IPS, émettant néanmoins un espoir : "Sous une forte pression de la communauté internationale, ils vont peut-être lâcher du lest et reculer". Gbégnonvi a ajouté que la "Communauté internationale, et la France en particulier, n'a pas intérêt qu'il y ait une nouvelle Côte d'Ivoire au Togo". L'armée étant le principal pilier du régime togolais, ce sont les militaires qui ont toujours commis des exactions contre la population civile et les opposants pour imposer la volonté de l'ancien dictateur. Par exemple, vers la fin des années 1990, le vent de démocratisation, qui soufflait sur le continent africain, s'est imposé également au Togo par le canal d'une "conférence nationale" que le général-président Eyadema a acceptée malgré lui. La conférence lui a imposé un Premier ministre, Joseph Koffigo, un avocat désigné dans l'opposition et qui voulait assumer sa fonction de chef de gouvernement. La transition n'a pas duré longtemps et s'est achevée dans la violence, en décembre 1991, avec des chars de l'armée dans la capitale, qui tirent sur les bureaux du chef du gouvernement.

Malgré le contrôle exercé, grâce à la terreur, par le régime d'Eyadema sur le processus démocratique issu de la conférence nationale, son pouvoir a été ébranlé par les débuts du multipartisme marqués par des grèves et manifestations de rue. Mais, le régime a préféré s'endurcir pour décourager les contestations, en réprimant dans le sang des manifestations à Lomé, en 1993, et en présence d'une délégation conjointe des ministres français et allemand de la coopération. L'Union européenne (UE) avait réagi et instauré des sanctions contre le pouvoir togolais en suspendant sa coopération avec lui pour "déficit démocratique" depuis cette date.

"La situation au Togo correspond à ce qui se passe quand un dirigeant se comporte comme un dictateur éternel qui refuse de connaître son successeur de son vivant", estime Issa Mondi-Mondi, un analyste politique à Cotonou.

Pour Moïse Bossou, professeur de droit constitutionnel à l'UAC, la décision des militaires relève de la même logique qui avait poussé le général Eyadema à ne pas respecter la parole donnée par rapport à sa promesse de ne pas réviser la constitution pour se représenter une troisième fois à l'élection présidentielle de 2003. "C'est la logique qui vise à protéger un clan familial, une logique des gens qui ne tiennent qu'à sauver leurs intérêts et leur vie", a-t-il expliqué à IPS. Selon plusieurs sources à Lomé, l'armée togolaise est néanmoins divisée et pourrait connaître, à terme, des règlements de compte en son sein.

Le général Eyadema a accédé au pouvoir par un coup d'Etat en 1967, période à laquelle naissait son fils – Faure – que l'armée vient d'installer au pouvoir. Originaire de Pya dans le nord du Togo, Eyadema avait bâti son pouvoir sur l'armée, la peur, le clientélisme et l'ancien parti unique RPT. Affaibli par une douzaine d'années de suspension de la coopération européenne, Eyadema a été obligé d'accepter le dialogue politique sous les pressions de l'UE, ce qui a conduit le pouvoir à s'engager sur des mesures de démocratisation du régime. Eyadema avait lui-même annoncé, en décembre, des législatives au cours du premier trimestre de 2005, à l'occasion d'une visite, à Lomé, de Louis Michel, commissaire à la coopération de l'UE. Mais les principaux partis d'opposition ont contesté la loi électorale votée par le parlement, le 19 janvier. (* Dans cet article diffusé à 20H14 GMT ce 6 février, il manquait une précision au 11ème paragraphe : c'était écrit que le parlement du Togo… a annoncé, dimanche soir à Lomé, la "destitution du président de l'Assemblée nationale" pour élire un autre dont le nom n'est pas encore rendu public.

Prière de lire : pour élire, à sa place, le même Faure Eyadema).