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Éducation Sans Délai s’Entretient avec Bruno Maes, Représentant de l’UNICEF en Haïti

22 mai 2024 –

 
Bruno Maes est le représentant de l’UNICEF en Haïti. Il a officiellement pris ses fonctions en août 2020. De nationalité belge, M. Maes a précédemment été représentant de l’UNICEF à Madagascar de 2007 à 2012, au Tchad de 2012 à 2015, et récemment en Égypte de septembre 2015 à 2020.

M. Maes a rejoint l’UNICEF en 2000 et a été Représentant Adjoint au Burundi et en Éthiopie. Avant de rejoindre l’UNICEF, il a été Représentant du Service d’Aide Humanitaire et de Protection Civile de la Commission Européenne (ECHO) pour l’Angola.

M. Maes est titulaire d’une maîtrise en économie du développement de l’Université de Louvain, Louvain-La-Neuve, Belgique.

ÉSD : Des groupes armés contrôleraient aujourd’hui 80 à 90 % de Port-au-Prince et plus de 360 000 personnes – dont une majorité d’enfants – ont été déplacées. Le pays semble enlisé dans une culture de la violence. Comment Éducation Sans Délai, l’UNICEF et d’autres partenaires locaux peuvent-ils travailler ensemble pour offrir à ces filles et à ces garçons la sécurité et la protection d’un environnement d’apprentissage holistique et de qualité ?

Bruno Maes : L’UNICEF est très préoccupé par la détérioration rapide de la situation sécuritaire dans tout le pays, en particulier dans de nombreux quartiers de Port-au-Prince et dans le Département de l’Artibonite. Ces dernières semaines ont été marquées par une tendance inquiétante à la violence visant les institutions publiques et les infrastructures sociales vitales, y compris les écoles. Ces violences ont entraîné la fermeture temporaire de centaines d’écoles, privant ainsi les enfants de leur droit à l’éducation.

L’instabilité en Haïti continue de nuire à l’éducation. Les fréquentes perturbations des services éducatifs ont posé d’importants problèmes d’accès aux écoles. L’occupation des salles de classe par des groupes armés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays (PDI) a encore réduit l’accès, laissant les enfants vulnérables au risque accru de recrutement dans des groupes armés ou d’être victimes d’exclusion sociale, d’abus sexuels et physiques et de discrimination socio-économique.

À la fin du mois de janvier, 900 écoles au total avaient été temporairement fermées, privant environ 200 000 enfants de leur droit à l’éducation. Dans un pays confronté à des conflits et à une instabilité de plus en plus complexe, l’éducation ne peut jamais être considérée comme une simple option. Elle doit être reconnue comme une nécessité, une question de survie et une clé de la stabilité sociale.

En Haïti, l’UNICEF assure l’accès à une éducation de qualité, inclusive et pertinente, dans un environnement d’apprentissage sûr et protecteur, pour tous les élèves des écoles publiques, y compris les enfants vivant avec des handicaps, affectés par une situation de violence, de conflit armé ou de catastrophe naturelle.

Le soutien de l’organisation Éducation Sans Délai (ÉSD) permet à l’UNICEF d’aider les familles touchées par la violence et les déplacements à réintégrer les enfants dans l’enseignement formel. Lorsque l’intégration dans les écoles formelles n’est pas possible, l’UNICEF collabore avec ses partenaires pour créer des environnements d’apprentissage alternatifs, sûrs et temporaires pour les enfants. Je tiens à exprimer ma plus sincère gratitude à l’organisation ÉSD pour son soutien inestimable dans nos efforts pour soutenir l’éducation dans les situations d’urgence (ÉSU).

En ce qui concerne nos attentes vis-à-vis de l’initiative ÉSD, de l’UNICEF et d’autres partenaires locaux sur les questions de sécurité et de protection d’un environnement d’apprentissage holistique et de qualité, nous pensons que la meilleure façon de travailler ensemble sera d’assurer le renforcement des capacités des enseignants sur des questions clés. Il s’agit notamment de la protection, de la santé mentale et du soutien psychosocial (SMSPS) des enfants par le biais de mécanismes de protection combinés à des activités d’apprentissage socio-émotionnel (ASÉ) dans les écoles ciblées. Cette action doit être menée dans le cadre d’un partenariat solide avec le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MÉNFP).

En lien avec les initiatives en cours pour renforcer le soutien psychosocial et la cohésion sociale dans la réponse, nous devons nous mobiliser pour l’intégration de la SMSPS dans l’enseignement, le renforcement du code de conduite récemment validé par le MENFP pour renforcer la cohésion sociale en milieu scolaire, la mise en place de mécanismes de référencement des écoles vers d’autres secteurs tels que la protection de l’enfance, la santé, la nutrition, la promotion de la Déclaration pour des Écoles Sûres, et enfin l’adoption de mesures d’atténuation des risques de violences basées sur le genre et de plans de sécurité dans les écoles face aux attaques contre l’éducation.

ÉSD : La réponse à l’éducation en situation d’urgence en Haïti – et en fait dans le monde entier – est sous-financée. Pourquoi les donateurs devraient-ils augmenter le financement par le biais de fonds multilatéraux tels que l’organisation Éducation Sans Délai pour répondre à cette crise oubliée et tenir les promesses énoncées dans l’Agenda 2030 pour le Développement Durable ?

Bruno Maes : Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les donateurs devraient augmenter le financement par le biais de fonds multilatéraux tels qu’ÉSD. J’en citerai deux :

Premièrement, ÉSD est une structure qui a une influence considérable au niveau mondial et même national, en raison des fonds qu’elle a déjà accordés à Haïti. Il s’agit notamment de la Réponse de Première Urgence de l’initiative ÉSD de 2021 à 2022 en réponse au tremblement de terre du Grand Sud, puis du Programme Pluriannuel de Résilience pour la période 2022-2025). L’expertise technique d’ÉSD, ses relations directes avec les agences de l’ONU en Haïti (PAM, UNICEF, Bureau du Coordinateur Résident et Coordinateur Humanitaire), sa gestion fiduciaire transparente et sa longue expérience de travail avec différents pays et régions sont des atouts majeurs pour soutenir cet argument. À l’instar des Nations Unies, ÉSD, en tant que fonds multilatéral, joue un rôle très important dans les pays à faible revenu, y compris dans les situations d’urgence.

Deuxièmement, ces fonds – financés par de multiples pays – ont pour objectif la réalisation de l’Objectif de Développement Durable 4, qui est notre objectif collectif, conformément à l’agenda 2030. Et comme le nom du fonds le suggère, l’éducation est sans délai en Haïti. La situation actuelle a entraîné une augmentation du nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays et a créé d’énormes lacunes en termes d’accès aux services sociaux de base tels que l’éducation et la santé. À l’heure où je vous parle, près de 4 000 écoles sont temporairement incapables de fonctionner dans la région métropolitaine de Port-au-Prince (cette situation affecterait près de 1,2 million d’élèves). S’exprimant à Washington DC en avril sur le thème “Linking Education and National Security, Competitiveness and Global Stability” (“Lier l’Éducation à la Sécurité Nationale, à la Compétitivité et à la Stabilité Mondiale”) dans le cadre de l’initiative “Quality Education for Security and Economic Growth” (Éducation de Qualité pour la Sécurité et la Croissance Économique) du ‘’Center for Strategic and International Studies’’ (Centre d’Études Stratégiques et Internationales), le ministre haïtien de l’éducation, Nesmy Manigat, a décrit la réponse éducative à la situation actuelle comme “une course contre la montre, non seulement pour garantir le droit à l’éducation de milliers d’enfants affectés par la crise, mais aussi pour éviter que certains d’entre eux ne deviennent involontairement des enfants bandits ou des enfants soldats”.

ÉSD: #RightHereRightNow (Ici, Maintenant, Tout de suite), le changement climatique, la dégradation de l’environnement, la montée en flèche des températures, les catastrophes naturelles et les événements météorologiques extrêmes créent un risque clair et présent pour les enfants d’Haïti. Comment pouvons-nous relier l’action en faveur de l’éducation à l’action en faveur du climat en Haïti et au-delà ?

Bruno Maes : Il faut savoir que parmi les pays insulaires, Haïti se situe au 3ème rang en termes de vulnérabilité au changement climatique. On sait également que les événements climatiques extrêmes sont de plus en plus graves, qu’ils sont presque cinq fois plus fréquents qu’il y a 40 ans et qu’ils perturbent l’éducation de près de 40 millions d’enfants dans le monde chaque année.

En Haïti, les conséquences du dernier tremblement de terre ont causé d’énormes dégâts aux infrastructures, avec 1 250 écoles de base endommagées ou détruites dans les trois zones les plus touchées (Cayes, Camp-Perrin et Sant-Louis-du-Sud/département du Sud). Cette situation a affecté directement ou indirectement 307 359 élèves, dont la continuité de l’éducation a été perturbée. Près de 7 512 enseignants et plus de 1 000 directeurs d’école ont été affectés par le séisme.

Il existe plusieurs façons de relier l’action éducative à l’action climatique en Haïti et au-delà, y compris la promotion de thèmes clés connexes dans les nouveaux programmes d’études. Il s’agit notamment de la gestion des déchets ménagers et des déchets plastiques, de la lutte contre la déforestation et ses principales conséquences, de la lutte contre l’insalubrité de l’environnement scolaire et du cadre de vie de l’apprenant, de la lutte contre les conséquences de certaines activités humaines néfastes pour l’environnement (déchets industriels, émissions de gaz à effet de serre), de la gestion rationnelle des ressources en eau dans un contexte de changement climatique et de la gestion des sources d’énergie dans un contexte de réchauffement de la planète. L’imprévisibilité des conséquences du changement climatique risque d’exacerber les impacts climatiques sur des secteurs déjà sensibles, comme l’éducation, et de limiter la croissance économique du pays.

ÉSD : Il s’agit sans doute de la crise humanitaire la plus urgente dans l’hémisphère occidental. Comment l’éducation peut-elle promouvoir la paix, la stabilité et la résilience économique dans un contexte comme celui d’Haïti ?

Bruno Maes : Dans le contexte haïtien, et conformément au discours susmentionné du ministre haïtien de l’éducation, je pense que l’éducation peut promouvoir la paix, la stabilité et la résilience économique par le biais de la transformation des programmes d’études. Il s’agit de l’étape la plus importante pour relever les défis d’un monde instable en proie à des changements sociaux, économiques, technologiques et climatiques rapides.

Comme l’a suggéré le Ministre de l’Éducation dans la même déclaration citée ci-dessus, pour y parvenir :

    o Des efforts doivent être faits pour s’assurer que la transformation des programmes est intégrée dans l’ensemble du système éducatif, y compris les programmes et les manuels, la préparation des enseignants et la pédagogie, l’évaluation et le climat scolaire, etc.

    o Les systèmes éducatifs doivent doter les jeunes des compétences et des connaissances nécessaires pour réussir la transition entre la salle de classe et le monde du travail. En effet, il a été démontré qu’il existe un lien positif entre l’augmentation du capital humain et les résultats économiques tels que des salaires plus élevés, des taux de participation au marché du travail plus importants et la croissance économique.

    o Les modalités de l’offre ou son programme doivent conduire à l’inclusion et à l’équité. Dans le cas contraire, l’éducation pourrait s’avérer être une arme à double tranchant, conduisant à un conflit ou l’exacerbant. A ce niveau, le pays doit développer et mettre en œuvre des politiques publiques pour s’assurer que les services éducatifs sont un bien public équitablement partagé et qu’ils promeuvent la paix et la justice sociale.

    o L’un des plaidoyers prioritaires du MENFP pour la prochaine révision constitutionnelle en Haïti sera de faire prendre conscience de la nécessité d’un consensus pour intégrer le pourcentage de dépenses publiques minimales par an pour le secteur de l’éducation.

ÉSD : Nous savons tous que “les leaders sont des lecteurs”. Quels sont les trois livres qui vous ont le plus influencé sur le plan personnel et/ou professionnel, et pourquoi les recommanderiez-vous à d’autres ?

Bruno Maes : « The Freedom Writers Diary » (Le Journal des écrivains de la liberté) d’Erin Gruwell. Basé sur une histoire vraie, ce livre suit une jeune enseignante, Erin Gruwell, qui transforme la vie de ses élèves à risque grâce au pouvoir de l’éducation et de l’écriture. Face à l’adversité et aux attentes de la société, Erin encourage ses élèves à s’exprimer par l’écriture, les aidant ainsi à trouver leur voix et à réaliser leur potentiel. Le livre est une compilation d’entrées de journal écrites par les élèves eux-mêmes, relatant leurs luttes personnelles, leurs triomphes et leur évolution au cours de leurs années de lycée. « The Freedom Writers Diary » illustre l’effet profond qu’un enseignant dévoué et un environnement éducatif favorable peuvent avoir sur les élèves, en particulier sur ceux qui sont confrontés à des défis importants. Il témoigne du pouvoir de transformation de l’éducation, qui permet aux jeunes de surmonter les obstacles et de se créer un avenir meilleur.

« Educated: A Memoir » (Éduqué : Un Mémoire) de Tara Westover. Ce mémoire puissant raconte le parcours de Tara, qui a grandi dans un foyer strict et isolé de l’Idaho rural, où l’éducation était sous-évaluée et souvent inaccessible, pour finalement poursuivre des études supérieures dans des universités prestigieuses telles que Harvard et Cambridge. À travers son récit captivant, Tara met en évidence le pouvoir de transformation de l’éducation qui lui a permis de se libérer des contraintes de son éducation et de façonner son identité.

Et enfin, « The Prophet » (Le Prophète) de Khalil Gibran. “Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l’aspiration de la vie à elle-même. Ils passent par vous mais ne viennent pas de vous, et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. Vous pouvez leur donner votre amour, mais pas vos pensées, car ils ont leurs propres pensées. Vous pouvez loger leur corps, mais pas leur âme, car leur âme habite la maison de demain, que vous ne pouvez pas visiter, pas même dans vos rêves. Vous pouvez vous efforcer de leur ressembler, mais ne cherchez pas à ce qu’ils vous ressemblent. Car la vie ne recule pas et ne s’attarde pas sur hier”. Ce passage illustre parfaitement la perspective de l’essence unique et de l’individualité des enfants, en soulignant l’importance de favoriser leur croissance et de leur permettre de suivre leur propre chemin dans la vie. Il invite les parties prenantes à soutenir l’éducation des enfants non pas pour les modeler en répliques d’eux-mêmes, mais pour leur donner les moyens de découvrir et de réaliser leur propre potentiel.

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