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DEVELOPPEMENT: Les affaires ''ignorent'' les droits de l'Homme

JOHANNESBURG, 19 jan (IPS) – De l'Irak au Nigeria, des compagnies multinationales ignorent les droits de l'Homme, établissant une culture d'abus et d'impunité qui est difficile à éradiquer, prévient un important militant anti-apartheid.

Kader Asmal, un ancien ministre sud-africain de l'Education, indique que les abus vont de la dégradation de l'environnement à travers le monde aux plus de 90.000 sociétés de gardiennage, engagées dans des entreprises de plusieurs milliards de dollars sales, dans un Irak déchiré par la guerre. "Les contrats accordés manquent de responsabilité et de transparence au regard du droit international. Nombre de ces compagnies, gérées par des pays puissants, sont responsables de crimes de guerre", a déclaré Asmal, un avocat et député au parlement d'Afrique du Sud.

Aucun rapport officiel n'existe sur le nombre de sociétés de gardiennage en Irak, dont certaines auraient été créées illégalement.

Mais le 'Washington Post', citant le premier recensement de la population croissante de civils opérant sur le champ de bataille, effectué par l'armée, a affirmé, le 6 décembre 2006, que quelque 100.000 contractuels du gouvernement américain travaillent en Irak. Ils sont impliqués dans une variété d'activités militaires, y compris la fourniture d'équipement de l'armée, la construction de casernes militaires et la fourniture d'agents de sécurité privés à de hauts responsables irakiens.

Comme Asmal, les 150 participants et plus, qui ont pris part à une conférence organisée par la Fondation pour les droits humains, basée à Pretoria sur le thème "Affaires, responsabilité et droits de l'Homme" à Johannesburg, du 16 au 17 janvier, étaient dans l'ensemble d'avis que la campagne pour inculquer une culture de droits de l'Homme aux affaires est en train de progresser lentement. Il y a ou un manque d'intérêt, ou une réticence, parmi les entrepreneurs, ont déclaré les participants. "L'expression 'droits de l'Homme' est un croquemitaine pour les affaires", a dit à IPS, Yasmin Sooka, directrice exécutive de la Fondation pour les droits de l'Homme. "Les affaires n'aiment pas les droits humains".

"Cette campagne est, par conséquent, un processus. En Afrique du Sud, nous venons de sortir de l'apartheid il y a juste dix ans. Il nous faudra du temps pour rattraper le reste du monde", a-t-elle déclaré.

L'Afrique du Sud est en train de l'apprendre à ses dépens. "Nous avons besoin d'un code de conduite pour les compagnies sud-africaines opérant dans le reste de l'Afrique. J'ai pris part à une rencontre avec des Africains bien instruits qui se plaignaient du comportement de sociétés sud-africaines. Nous devons examiner la question. Nous ne voulons pas que ces compagnies ternissent la réputation de l'Afrique du Sud", a indiqué Asmal.

Soulignant la nécessité d'un code de conduite strict, il a ajouté : "Je suis préoccupé par le fait que les compagnies sud-africaines n'observent pas, comme il faut, le droit du travail des pays dans lesquelles elles opèrent".

Au sein de l'Union européenne et en Amérique du nord, les affaires englobent petit à petit les droits de l'Homme. Christopher Avery dit qu'il y a dix ans, il ne pouvait pas utiliser l'expression droits humains en s'adressant à la communauté des hommes d'affaires.

"Cela interrompait immédiatement la discussion. J'utilisais des euphémismes tel que l'état de droit comme une couverture pour les droits de l'Homme. Maintenant, le monde des affaires accepte les mots 'droits humains', a souligné Avery, qui gère un site Internet business-humanrights.com, basé aux Etats-Unis, qui compte plus de 3.500 compagnies membres. Dans une étude publiée en décembre 2006, le Bureau du Conseil des Nations Unies pour les droits de l'Homme, basé à Genève a révélé que des firmes nord-américaines et européennes sont en tête de l'inclusion des normes de droits de l'Homme dans des domaines comme la gestion d'une chaîne d'approvisionnement. Intitulée "Reconnaissance des droits de l'homme par les entreprises : Schémas mondiaux, variations régionales et sectorielles", l'étude indique que les deux tiers des compagnies américaines dans l'échantillon et environ 60 pour cent des Européens abordent les préoccupations liées aux droits de l'Homme.

"Environ 66 pour cent des compagnies reconnaissent la liberté d'association comme le droit aux négociations pour une convention collective. Près de 75 pour cent des compagnies européennes reconnaissent les deux droits. Par contre, 63 pour cent des compagnies nord-américaines et environ 50 pour cent de compagnies venant de chacune des régions restantes — Asie, Pacifique et Afrique — reconnaissent ces droits", souligne l'étude, rédigée par Michael Wright et Amy Lehr.

L'étude a également examiné le travail des enfants, un problème sérieux en Afrique et en Asie. Elle a constaté que des "firmes européennes et nord-américaines sont en moyenne à 65 pour cent sont favorables à l'abolition de la main-d'œuvre forcée et du travail des enfants. Des firmes européennes et nord-américaines sont en moyenne 65 pour cent environ pour reconnaître l'interdiction des deux pratiques, des compagnies d'Asie et du Pacifique autour de 50 pour cent, tandis que trois des cinq compagnies africaines mentionnent l'abolition de l'esclavage et du travail forcé, et 25 pour cent seulement mentionnent l'abandon du travail des enfants".

Sufian Bukurura, un professeur de droit à l'Université du KwaZulu Natal, a souligné que les Nations Unies n'avaient commencé à faire de sérieux liens entre les droits de l'Homme, les affaires et le développement qu'en 1989.

Pourtant, a affirmé Bukurura, des intérêts égoïstes influencent parfois les décisions des gouvernements. Il a cité l'abandon, par le gouvernement britannique, d'une enquête sur une fraude liée à un contrat d'armes avec des Saoudiens en décembre 2006, comme quelque chose basé sur les intérêts de Londres plutôt que sur la lutte contre la corruption.

Le 'United Nations Global Compact', créé en 2000, exhorte les firmes à observer les droits humains, les normes du travail, les pratiques environnementales et anti-corruption. Il compte plus de 3.000 membres, avec plus de la moitié des compagnies issues des pays en développement.

"Lorsque j'étais au Bureau du Conseil des Nations Unies pour les droits de l'Homme, j'ai encouragé la commission à promouvoir les normes d'éthique dans les affaires. Mais la plupart des entreprises y étaient opposées et avaient une peur folle de la norme", a déclaré Mary Robinson, ancien haut commissaire des Nations Unies pour les droits de l'Homme, à la rencontre de Johannesburg.

"Toutefois, certains ont emprunté la norme, l'ont modifiée et distribuée à d'autres compagnies. Comme quelqu'un n'ayant pas une base commerciale, j'ai beaucoup appris des établissements de réseaux et discussions qui ont suivi", a indiqué Robinson, fondatrice en 2002 de 'Concrétisation des droits : Initiative sur la mondialisation éthique'.

Prenant également la parole devant l'assistance, Frene Ginwala, vice-présidente de l'Université du KwaZulu Natal, a critiqué des organisations comme Transparency International parce qu'elles se focalisent sur les corrompus plutôt que sur les corrupteurs. "Nous n'allons pas régler le problème de corruption tant que nous n'impliquerons pas les citoyens", a-t-elle déclaré.

Hassan Lorgat, président de la section sud-africaine de Transparency International, a indiqué que le terrain de la corruption est dominé par des multinationales ayant de l'argent. "Mon rôle est de faire pression pour un programme de développement au sein de Transparency international", a-t-il dit à IPS.

Lorsque l'ancien archevêque anglican Desmond Tutu a été nommé président de la Commission vérité et réconciliation (TRC), Sampie Terreblanche, professeur d'économie à l'Université Stellenbosch d'Afrique du Sud, a demandé, de même qu'un collègue, la création d'une Commission vérité sur les entreprises.

L'objectif était d'enquêter sur des allégations de crimes commis par des compagnies multinationales comme le géant minier Anglo-American au cours de la période d'apartheid. "Certaines de ces firmes ont aidé l'apartheid et exploité les Noirs pendant un siècle", a-t-il indiqué dans une conversation avec IPS.

Malheureusement, les entrepreneurs locaux avaient brillé par leur absence à la conférence. Un organisateur a dit à IPS qu'il avait invité des hommes d'affaires de la communauté locale, mais qu'ils ne sont pas arrivés. Un homme d'affaires, qui a requis l'anonymat, a indiqué à IPS que c'était malheureux que la conférence critique la communauté des hommes d'affaires pour sa non-observance du principe des droits de l'Homme. Seul un engagement constructif, a-t-il dit, réglerait les questions des droits humains dans les affaires.

Moyiga Nduru

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