CORRUPTION-GABON: La lutte contre l'enrichissement illicite commence timidement

LIBREVILLE, 29 sep (IPS) – Le Gabon a commencé à appliquer timidement la loi contre la corruption et l'enrichissement illicite, sous la pression des critiques de la société civile et des bailleurs de fonds sur le train de vie trop dépensier des officiels du gouvernement.

Adoptée par le parlement gabonais depuis mai 2003, cette loi vise à instituer un "régime de prévention et de répression de l'enrichissement illicite" dans un pays où les principales cibles sont d'abord de hauts fonctionnaires de l'Etat et leurs complices. "C'est sous la pression des bailleurs de fonds que finalement une commission contre l'enrichissement illicite a vu le jour", déclare à IPS, Joël Mombo, enseignant à l'Université de Libreville, la capitale gabonaise. Mise en place en juin, la commission comprend 17 membres inamovibles, majoritairement de hauts magistrats ainsi que des membres de la société civile, nommés pour un mandat non renouvelable de cinq ans. "Restés impunis pendant plusieurs années et notamment pendant les années de prospérité pétrolière – 1970 et 1980 – plusieurs agents de l'Etat se sont créé des paradis fiscaux à l'étranger en toute impunité alors que le pays, aujourd'hui fortement endetté, recherche un second souffle en diversifiant son économie en majorité dépendante de son pétrole dont les réserves s'amenuisent", a indiqué à IPS, un magistrat qui a requis l'anonymat. Il a ajouté : "Après que les membres de la Commission nationale de lutte contre l'enrichissement illicite eurent prêté serment début juillet, au cours d'une audience solennelle de la Cour de cassation, la commission devra recevoir une 'déclaration de fortune' à laquelle sont dorénavant astreints, tous les trois ans, environ 60.000 hauts fonctionnaires pouvant engager l'Etat financièrement, parmi lesquels les membres du gouvernement". Cette initiative, qui fait sourire encore de nombreux responsables d'organisations non gouvernementales (ONG) et la majorité des citoyens, soucieux de plus de justice au Gabon, est considérée par de nombreux acteurs économiques comme une façade pour contourner les exigences des bailleurs des fonds dont les représentants dans le pays sont bien au courant des pratiques entretenues par de hauts responsables de l'Etat. Les juges considèrent que pour lutter effectivement contre la corruption, il faut une action d'envergure, dont l'efficacité reste tributaire de l'indépendance et de la transparence de la justice. Ce qui n'est pas encore le cas, même si quelques cas de détournements d'argent ont été sanctionnés par la justice. Parmi les affaires de détournements de deniers publics récents au Gabon, figure celle ayant impliqué, en février 2004, Jean Valentin Leyama, administrateur du Fonds d'entretien routier, et son ministre de tutelle, Egide Boundono Simangoye, en charge des Travaux publics, de l'Equipement et de la Construction. Le ministre a perdu son portefeuille lors du remaniement du 4 septembre dernier. Leyama a déclaré à IPS qu'il avait été évincé de ses fonctions à la suite de son "refus de régler, à la demande de son ministre, la somme de 500 millions de francs CFA (environ 943.396 dollars) à une société et à deux entreprises adjudicataires d'un projet d'aménagement du réseau routier de Libreville, n'ayant pas abouti". La décision de limoger Leyama avait été pourtant prise en Conseil des ministres du 6 février 2004. Il avait été remplacé par un proche du ministre, un ancien cadre travaillant pour le compte de la Société nationale des bois du Gabon. Mais l'affaire n'a pas connu de suites judiciaires. Une autre affaire flagrante réprimée par la justice a concerné des pensions alimentaires détournées et des chèques sans provision émis par des greffiers en chef du tribunal de Libreville, qui ne reversaient pas correctement des sommes aux ayant droit. L'ancien greffier en chef, Paul Mourouany, et son successeur André Essono Alogo s'illustraient dans des pratiques frauduleuses de détournements des pensions alimentaires. Les greffiers ont été suspendus de leurs fonctions et condamnés à des peines de prison. Dans le milieu bancaire, des décaissements frauduleux de quelque 132.000 dollars ont été effectués au préjudice de la Banque internationale pour le commerce et l'industrie du Gabon (BICIG) par Jean-Pierre Rougou, responsable d'une partie de la clientèle privée. Poursuivi pour faux et usage de faux en écritures, malversations et abus de confiance aggravé, Rougou a été emprisonné. Mais la banque a refusé d'indemniser les victimes. En février, le parquet de Libreville avait ouvert une "information judiciaire sur Justin Onewin, Chantal Roger et Delphine Oulabou, trois agents du Trésor public qui avaient été reconnus coupables de détournements d'un montant de 1,115 million de dollars. Ils ont été jugés et condamnés à des peines de 10 à 20 ans de prison, selon le parquet. Le 31 août, un braquage avait été perpétré au siège du Parti démocratique gabonais (PDG au pouvoir) et les malfrats ont emporté environ 171.698 dollars (91 millions de FCFA destinés, selon une source officielle, à la paie des salariés de ce parti. L'opération de braquage s'est déroulée avec la complicité du comptable du PDG, Albert Meyé, qui revenait de la banque avec de l'argent. Meyé a été suspendu début septembre de ses fonctions et placé emprisonné avec ses complices, en attendant leur procès. Le journal privé 'Le Temps', qui a révélé, le 13 septembre, les détails du braquage, avait vu son directeur de publication, Jean Yves Ntoutoume et son collaborateur, Mathieu Ebozo'o, interpellés par la police judiciaire à Libreville pour avoir publié, avant la police, une enquête sur un braquage. Les deux journalistes avaient été relâchés 24 heures plus tard. La presse indépendante estime que "Plutôt qu'une Commission de lutte contre l'enrichissement illicite, il en faudrait une contre les biens mal acquis". Pour elle, "même si les sanctions commencent à tomber, elles ne suffisent pas car la marge de manœuvre de la commission est si étroite qu'il serait difficile de s'en prendre aux hommes d'affaires politiques gabonais qui sont en fait les vrais auteurs des affaires scandaleuses". Selon des observateurs, ce n'est pas l'absence d'une loi qui serait responsable de la corruption, mais le fait que cette législation ne soit pas encore appliquée de manière équitable à tous. Seuls les menus fretins sont inquiétés, affirment-ils. Plusieurs économistes gabonais estiment que l'ampleur et la persistance de la corruption dans l'industrie pétrolière, durant de si nombreuses décennies, laissent penser qu'elle ne pourra jamais être éradiquée, mais simplement tempérée.