Systèmes alimentaires durables; Pourquoi nous n’avons pas besoin de nouvelles recettes

ROME, le 14 mai 2018 (IPS) – Beaucoup pensent que le secteur alimentaire et agricole est différent de tous les autres secteurs économiques, qu’il est unique et qu’il nécessite des modèles économiques spéciaux pour prospérer.

Après tout, nous nous attendons à ce que le système alimentaire et agricole mondial réponde à de nombreux objectifs différents. Il doit fournir une nourriture abondante, sûre et nutritive. Il doit créer des emplois dans les zones rurales tout en protégeant les forêts et la faune, en améliorant les paysages et en prévenant les changements climatiques par la réduction des émissions issues de la production alimentaire.

Des systèmes alimentaires fonctionnant bien sont également considérés comme essentiels pour la stabilité sociale et la prévention des conflits. En fait, de nombreux hommes politiques vont jusqu’à affirmer que les systèmes alimentaires doivent prospérer pour endiguer la migration des campagnes vers les villes et le flux transfrontalier de personnes désespérées qui fuient les nations en situation d’insécurité alimentaire.

 

 

Des systèmes alimentaires fonctionnant bien sont également considérés comme essentiels pour la stabilité sociale et la prévention des conflits

Doaa Abdel-Motaal

 

Cela a l’air d’une tâche difficile, suffisant pour faire de l’alimentation et de l’agriculture un secteur économique à part. Ajoutez à cela que certains veulent que le secteur agricole fournisse de l’énergie sous la forme de biomasse et de biocarburants, et pas seulement de la nourriture, et vous semblez avoir là un ensemble d’objectifs presque impossibles.

Mais prenons une minute pour examiner tout cela. Y a-t-il un secteur économique dont nous n’attendons pas l’abondance, la sécurité, la création d’emplois et la protection de l’environnement? N’attendons-nous pas, par exemple, que lorsque nous fabriquons des voitures, que celles-ci soient suffisamment nombreuses pour répondre à la demande, qu’elles soient sûres et génèrent des emplois et qu’elles ne polluent pas pendant leur production ou leur utilisation ?

Ne nous attendons-nous pas à ce que des voitures ou d’autres produits manufacturés soient produits, à ce que nos économies se développent tout en assurant une plus grande paix et la sécurité tout au long du processus ?

Le secteur de l’alimentation et de l’agriculture exige exactement ce que font tous les autres secteurs économiques. Au-delà de l’intervention du gouvernement pour imposer des réglementations en matière de sécurité alimentaire et d’environnement, les gouvernements doivent investir dans les infrastructures nécessaires à l’épanouissement de tout secteur économique. Ces infrastructures comprennent des infrastructures physiques telles les routes et autoroutes, mais surtout l’infrastructure juridique.

J’entends par là, la primauté du droit, sous la forme d’un système judiciaire fonctionnel auquel les investisseurs peuvent avoir recours rapidement et facilement, et des politiques commerciales et d’investissement ouvertes. Cette infrastructure juridique est ce qui permet aux acteurs non gouvernementaux comme le secteur privé, de s’impliquer pleinement.

Mais il y a quelque chose à propos de l’alimentation qui rend toute discussion autour du sujet, émotionnelle. Selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, 815 millions de personnes souffrent de sous-alimentation chronique. Ce chiffre est aussi inacceptable qu’inquiétant et nécessite certainement une action immédiate. Cependant, ce chiffre ne saurait appeler à un diagnostic erroné.

Une réponse émotionnelle à ce qui constitue une réalité troublante est la dernière chose dont nous avons besoin. Doubler la mise de l’intervention du gouvernement pour choisir les gagnants et les perdants dans le secteur alimentaire ou créer une «politique industrielle» pour l’agriculture serait une erreur. Cela empêcherait les indicateurs du marché de fonctionner correctement. En fait, la réponse à l’insécurité alimentaire actuelle est de redoubler d’effort pour la croissance économique, la poursuivant encore de manière plus agressive.

De toute évidence, une certaine protection sociale est nécessaire au moment de cette transition. Alors que les gens ne meurent pas d’un manque de voitures, ils meurent d’un manque de nourriture. Toutefois, la protection sociale doit être gérée avec soin. Les filets de sécurité doivent cibler les personnes qui sont dans le besoin, ne pas créer de complaisance et ralentir le rythme des réformes économiques ; et surtout, l’aide alimentaire ne doit pas devenir une industrie à part entière, avec des intérêts particuliers qui la rendraient impossible à démonter.

J’ai travaillé sur les questions de commerce international pendant des décennies au cours desquelles j’ai vu certains des pays les plus développés du monde refuser de réduire leurs subventions agricoles et une montée en flèche des droits de douane qui infligent des dommages quotidiens au secteur agricole du monde en développement.

Une approche tendant à rendre son voisin mendiant. Dans le même domaine, j’ai vu de nombreux pays en voie de développement refuser d’ouvrir leurs marchés à la nourriture importée, rendant la nourriture plus chère pour les segments les plus pauvres de leurs populations. Ce sont tous là des exemples de l’application malheureuse d’une politique industrielle à l’alimentation.

J’ai également beaucoup travaillé dans le domaine de l’aide alimentaire. Alors que j’ai vu cette aide venir au secours des millions de personnes dans le besoin, je l’ai vu aussi créer de la dépendance et retarder des réformes économiques dont on a désespérément besoin. Je travaille maintenant sur des questions polaires, où j’observe des scientifiques en Antarctique récolter leur première moisson de légumes cultivés sans terre, sans lumière du jour, sans pesticides dans le cadre d’un projet conçu pour cultiver des aliments frais là où nous l’aurions pensé auparavant impossible.

Mon message est le suivant : appliquons des principes simples d’économie à l’alimentation et à l’agriculture et n’inventons pas chaque jour de nouvelles recettes de politique industrielle pour ce secteur. Gardons également un œil vigilant sur la direction où la technologie peut nous mener. La recherche et le développement pourraient bien conduire ce secteur vers un avenir très différent.

* Doaa Abdel-Motaal est l’ancienne directrice exécutive du Conseil économique sur la santé planétaire de la Fondation Rockefeller, ancien chef de cabinet du Fonds international pour le développement agricole et ancien chef de cabinet adjoint de l’Organisation mondiale du commerce. Elle est l’auteur de “Antarctica, the Battle for the Seventh Continent.” (“L’Antarctique, la bataille pour le septième continent”).