CAMEROUN: Un port en construction par les Chinois laisse des nationaux en rade

YAOUNDE, 7 août (IPS) – Le port de Kribi sur la côte du sud du Cameroun est destiné à devenir un méga port pour toute l'Afrique centrale. Mais il y a peu de chance que les habitants, en particulier les ingénieurs et les scientifiques, profitent beaucoup de ce projet de 567 millions de dollars.

Avec le Cameroun qui fournit seulement 15 pour cent du coût de la construction et le financement de la Chine qui est de 85 pour cent, ce port est actuellement en construction par la 'China Harbour Engineering Company'.

Mais des experts disent que les Camerounais n'ont pas la formation professionnelle nécessaire pour travailler sur ces projets et rateront des opportunités d'emploi importantes.

“Malgré les investissements chinois en termes d'infrastructure et de technologie, [cela ne profitera pas] à la population instruite croissante sans emploi du Cameroun qui manque de formation professionnelle adéquate pour être absorbée par ces projets, à un moment où le pays a besoin… d’ingénieurs, de médecins et de scientifiques”, déclare à IPS, Mengnjo Anselm Sahngeh, un analyste de la politique économique au Cameroun.

Le Cahier économique 2009 de la Banque mondiale pour le Cameroun a indiqué que le pays a un taux de chômage de 30 pour cent, dont la plupart sont des jeunes chômeurs avec leurs diplômes obtenus dans des institutions d'enseignement supérieur.

Selon le Cahier économique 2013 de l'organisation pour le Cameroun intitulé 'Réduire la pauvreté, la vulnérabilité et les risques' – Numéro spécial sur les filets de sécurité sociale – l'économie de ce pays a connu une croissance de cinq pour cent en 2012. Mais son taux global de pauvreté, qui avoisine 40 pour cent, n'a pas diminué, mais a plutôt augmenté dans certaines régions.

“L’insuffisance des infrastructures, un environnement des affaires défavorable, et la gouvernance fragile continuent d'entraver l'activité économique et font qu’il est difficile d'atteindre les taux de croissance nécessaires pour réduire la pauvreté de manière durable”, indique le rapport.

Ce port en eau profonde, qui est situé dans la station balnéaire de Kribi, dans la région méridionale, emploie actuellement 1.125 personnes, dont 609 sont des Camerounais principalement employés comme ouvriers manuels.

Daline-Louise Nsomotto de l'unité de coordination du projet du port de Kribi au ministère de l'Economie, de la Planification et du Développement régional, indique à IPS que le port s’occupera de l'importation et de l'exportation des marchandises lourdes.

“Cela comblera les lacunes du port de Douala [voisin], qui se situe seulement à entre six et sept mètres de profondeur et ne peut accueillir que des navires d'une capacité de 15.000 tonnes. Une fois achevé, le principal port de Kribi, qui est entre 16 et 25 mètres de profondeur, accueillera de grands navires d’une capacité avoisinant 100.000 tonnes”, souligne Nsomotto.

Un complexe industriel, qui disposera d’un port d'amarrage polyvalent avec 20 terminaux différents, d’une base aérienne, d’un site industriel et d’une zone résidentielle privée, est également en construction. “C'est une nouvelle ville qui sera créée”, ajoute Nsomotto.

Frank Guet est un homme d'affaires local à Kribi. Il affirme que bien que les Camerounais n’aient pas grand-chose à voir avec le développement de ce port, qui a commencé en décembre 2010, cela a amélioré les affaires dans la ville.

“Le projet du port a accru les opportunités d'affaires et d'emploi dans cette région bien que les prix de certains produits de base, tels que la terre et les maisons, aient grimpé. Beaucoup migrent vers la zone où le port est en construction, demandant à acquérir des terres”, déclare Guet à IPS.

Nsomotto affirme que la priorité du projet est d'utiliser des travailleurs qualifiés locaux. “Mais les écoles locales de formation ne satisfont pas les besoins des projets actuels au Cameroun”.

“Toutefois, le transfert de technologie est fortement recommandé par le gouvernement afin d’assurer la continuité par des ingénieurs locaux après la livraison du projet. Pour ce faire, nous encourageons les quelques jeunes ingénieurs camerounais à [se faire employer] aux côtés des experts étrangers provenant de Chine et d'autres pays sur le projet”, explique Nsomotto.

Selon l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel, le Cameroun est actuellement 63ème sur 74 pays en développement en termes de niveau de développement des compétences techniques dans le pays.

Sahngeh souligne que beaucoup de pays en développement sautent les étapes nécessaires de développement et passent directement à l'industrialisation à grande échelle sans créer les institutions essentielles ou former les gens pour s'adapter à ces développements.

David Esseck Sany, directeur de la formation et de l'orientation professionnelle au ministère de l'Emploi et de la Formation professionnelle, déclare à IPS que le Cameroun souffre des conséquences de la fuite des cerveaux, qui fait toujours rage dans la plupart des pays africains.

“Il y a un déficit au Cameroun en termes d'ingénieurs et de professionnels techniques formés. Afin de combler ces vides, nous exhortons et même forçons les entreprises à former leurs propres travailleurs pour répondre aux besoins de l'industrie”.

Selon Sany, la plupart des grands projets en cours de réalisation au Cameroun sont dans des domaines qui exigent un type d'expertise technique qui ne peut pas être trouvé localement.

“Beaucoup d'institutions d'enseignement supérieur sont aujourd'hui orientées par le gouvernement pour offrir une formation dans des domaines tels que l'exploitation minière, l'ingénierie de haute technologie, l'énergie, l'eau et l'agriculture. C'est pour permettre l’application de la loi 30/70 [d'embaucher 30 pour cent d'étrangers et 70 pour cent de Camerounais sur un projet] dans toutes les industries autant que possible”, ajoute Sany.